Approche globale visant à lutter contre le trafic illicite de migrants

Compte tenu de sa complexité, il n’est pas possible de lutter contre le trafic illicite de migrants par une simple approche visant à faire appliquer la loi. Le trafic illicite de migrants s'inscrit dans le contexte plus large et polymorphe de la migration irrégulière, les passeurs offrant des solutions aux migrants potentiels qui ne peuvent pas accéder aux voies légales pour franchir les frontières.

En 2017, on estimait à 58 millions le nombre de migrants en situation irrégulière dans le monde, dont beaucoup auraient eu recours aux services illégaux des passeurs (OIM GMDAC de l'OIM, 2018 : 48). Il convient d'aborder le trafic illicite de migrants selon une approche globale tenant compte des facteurs déclencheurs et catalyseurs qui alimentent ce crime, ainsi que de l'insuffisance des capacités des gouvernements pour gérer la migration (pour en savoir plus sur les facteurs déclencheurs, voir Contexte mondial des migrations internationales). L'approche pénale est une composante de cette perspective élargie.

Policy Approaches
Approche des quatre piliers pour lutter contre le trafic illicite de migrants

Adopter une approche globale s’appuyant sur quatre piliers :

  • la prévention du trafic illicite de migrants ;
  • la poursuite des passeurs de migrants (et enquêtes sur leurs activités) ;
  • la protection des droits des migrants objets d'un trafic illicite ;
  • la coopération visant à lutter contre le trafic illicite de migrants.
Source

ONUDC, 2011a.

La relation entre les politiques migratoires et le trafic illicite de migrants se révèle complexe. D’un côté, une mauvaise gestion des migrations, avec des approches trop laxistes en matière de contrôle des documents et de délivrance des visas, peut rendre les systèmes vulnérables aux abus. De l’autre, des politiques migratoires trop restrictives pourraient augmenter la demande de services de passage clandestin visant à les contourner, et entraîner une hausse des coûts associés, l'organisation de l’entrée irrégulière de personnes s'appuyant sur des méthodes de plus en plus clandestines et sophistiquées.

Dans le cadre de leur lutte contre le trafic illicite de migrants, les États peuvent constater que leur obligation de protéger et d'aider les migrants est en contradiction avec leurs intérêts en matière de contrôle des frontières, de gestion des migrations et de lutte contre les activités criminelles. Pour concilier ces objectifs, il convient d'adopter une approche globale en matière de lutte contre le trafic illicite de migrants.

To Go Further
Comprendre et traiter l'aspect demande du trafic illicite de migrants

La situation sociale, politique et socio-économique de chaque État peut peser sur la décision de leurs ressortissants d'émigrer (pour en savoir plus sur les facteurs déclencheurs de la migration, voir Contexte global de la migration internationale et Migration et développement). L'environnement le plus propice au trafic illicite est le résultat des situations dans lesquelles les voies légales de migration ne sont pas accessibles aux candidats à l'immigration, ou sont trop coûteuses ou compliquées pour qu'ils puissent y accéder. À mesure que les restrictions à la circulation et à l'entrée sur le territoire se durcissent, la demande en trafic illicite afin de les contourner augmente. Le marché des passeurs s'en trouve renforcé et les commissions qu'ils peuvent percevoir majorées (Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée, 2018) : 14; Mixed Migration Centre [MMC], 2018: 105, 109).

Les personnes objets du trafic illicite d’êtres humains constituent un échantillon représentatif de l'humanité, chacune avec leurs raisons propres de recourir au trafic illicite. De nombreuses personnes font appel à des passeurs afin d’accéder à des opportunités de travail ou d’études dans des pays plus riches que leur pays d’origine. D’autres recourent aux services de passeurs pour fuir des catastrophes naturelles, la violence, un conflit ou des persécutions en l'absence d'accès aux voies de migration régulière pour y parvenir. Les insécurités accrues dans les pays d’origine entraînent une hausse de la demande de services de passeurs (voir ci-dessous le segment Le trafic illicite de migrants en période de crise).

Pour de nombreux migrants, les gains potentiels l'emportent sur les risques encourus en entreprenant un voyage clandestin ; même lorsqu'ils empruntent les itinéraires les plus dangereux, les migrants objets du trafic illicite tablent toujours sur une arrivée réussie dans leur pays de destination. Lorsque les migrants manquent de ressources financières, ils sont également très exposés aux passages clandestins à faible coût et à haut risque, ainsi que vulnérables aux passeurs sans scrupule qui peuvent profiter de leur désespoir pour les racketter ou les exploiter. Certaines des personnes qui sollicitent des passeurs pour entrer illégalement sur un territoire ont des motivations criminelles ou cherchent à entrer illégalement sur ce territoire avec des intentions malveillantes. La principale menace liée au crime de trafic illicite de migrants ne vient toutefois pas des personnes faisant l'objet de ce trafic, mais plutôt des membres de la criminalité organisée qui les font passer clandestinement. Dans de nombreux pays, le commerce du trafic illicite de migrants est une source importante de revenus pour la population locale en l'absence d'autres ressources, les passeurs fournissant un service à des communautés pour lesquelles les mouvements sont socialement et culturellement normaux (Reitano et Kaysser, 2018) : 66; Global Initiative Against Transnational Organized Crime, 2018: 13; MMC, 2018: 106, 116). En outre, si les médias ont tendance à mettre l'accent sur les dangers posés par les passeurs, dans certains cas les migrants sollicitent leurs services non seulement pour échapper à la détection, mais aussi pour augmenter leurs chances de franchir en sécurité les différentes étapes périlleuses de leur périple, par exemple sur les tronçons par voie terrestre dans les jungles d'Asie du Sud-Est ou dans les déserts d'Afrique et des Amériques (ONUDC, 2018b : 25).

Article / Quotes

J'ai entendu toutes ces histoires horribles d'immigrants battus et agressés par des passeurs, mais mon expérience a été différente. Ils ne m'ont causé aucun problème. Peut-être parce que je les ai grassement payés… Ceci dit, il ne faut pas faire complètement confiance aux passeurs. Ils vous disent une chose et en font une autre.

Source

Voix de migrant, cité par l'OIM et Samuel Hall, 2018.

Comprendre et lutter contre l’aspect offre du trafic illicite de migrants

Les passeurs ne se contentent pas de tirer parti de la demande de voies de migration et de la pénurie d'options régulières abordables et accessibles. Ils peuvent également être des « vecteurs » de migration irrégulière et influencer qui se déplace, où et de quelle manière, en recrutant de manière proactive des candidats à la migration, voire en faisant de la publicité sur les réseaux sociaux (Reitano et Kaysser, 2018: 66; Global Initiative Against Transnational Organized Crime, 2018: 2, 15).

Mode opératoire des passeurs

Les réseaux de passeurs ont été comparés à des réseaux commerciaux dans lesquels des personnes ou des groupes remplissent des fonctions spécialisées et s'adaptent rapidement à l'évolution des forces du marché. Les réseaux de passeurs diffèrent d'une région à l'autre. Ils vont des plus simples aux plus sophistiqués, des organisations criminelles plus hiérarchisées et professionnelles aux groupes aux liens plus lâches en passant par des indépendants opportunistes présents sur les différents segments d'un itinéraire de trafic illicite de migrants. Le tableau 1 illustre différents modes opératoires.

Table
Tableau 1. Exemples de modes opératoires des passeurs
MÉTHODES SIMPLES MÉTHODES SOPHISTIQUÉES
  • Fourniture ponctuelle de solutions de transport transfrontalier (traversée fluviale, bateaux, voyage à bord d’un camion, etc.)
  • Utilisation de contacts informels et ponctuels pour attirer des migrants et faciliter le trafic
  • Le passeur agit de manière individuelle, en faisant appel à des contacts ponctuels ou personnels, tels que des membres de la famille, des amis.
  • Fourniture et utilisation de documents de voyage et d’identité frauduleux
  • Hébergement le long de l’itinéraire
  • Corruption d’agents publics
  • Utilisation de réseaux de criminalité organisée dans plusieurs pays ou régions
  • Utilisation des réseaux sociaux pour attirer plus facilement les migrants, informer sur les itinéraires, services, prix et modes de paiement
  • Utilisation de solutions de blanchiment d’argent.
Example
Publicité pour des services de passeurs sur Facebook

Les passeurs utilisent les réseaux sociaux pour faire connaître leurs services et donner l'impression de proposer une option de voyage facile et sûre, avec des témoignages d'anciens migrants passés clandestinement. Facebook supprime la publication lorsqu'elle est signalée par des utilisateurs ou des journaux, comme dans ces deux cas :

Les mouvements de migrants peuvent être organisés par terre, air et mer. Les méthodes employées dans le cadre du trafic illicite de migrants peuvent varier selon le type de passage de frontière, le montant exigé et les politiques de contrôle des frontières du pays dans lequel le migrant entre. Le franchissement des points de passage officiels se fait généralement au moyen de faux documents ou, dans le cas de frontières terrestres et maritimes, en se dissimulant dans des véhicules de transport de marchandises, à l'insu ou non de l'agent/du conducteur du véhicule. Bien que cela soit périlleux, des milliers de migrants transitent clandestinement par la mer chaque année. Ils voyagent dans de grands bateaux, notamment des bateaux de pêche ou des cargos ainsi que des canots pneumatiques qui ne sont pas en état de naviguer. Le trafic illicite de migrants par voie aérienne implique généralement de transiter par les aéroports de plusieurs pays et souvent d'emprunter des détours ; les migrants objets du trafic illicite peuvent être dirigés vers un pays de transit qui les admet librement sur la base de leurs vraies pièces d'identité et où des passeurs leur procurent de faux passeports ou visas pour qu'ils puissent gagner leur pays de destination et y séjourner illégalement.

La durée du voyage clandestin peut aller de quelques jours à plusieurs mois, voire des années. De nombreux migrants restent bloqués dans des pays de transit après avoir été interceptés et/ou placés en détention, ou parce qu'ils n'ont plus les moyens de financer la prochaine étape de leur voyage. Une fois leur périple entamé, les migrants objets d'un trafic illicite sont particulièrement vulnérables à diverses formes d'exploitation et de maltraitance, de la part parfois des passeurs ou d'autres criminels.

Structure des réseaux de trafic illicite de migrants

Pour ce qui est du volet le plus organisé du trafic, les relations entre les différents acteurs peuvent être plus hiérarchiques, avec des réseaux qui s’étendent sur plusieurs pays ou régions et qui comprennent notamment de petits délinquants ou des personnes qui ne se doutent de rien et connaissent le contexte local, ainsi que des intermédiaires et des acteurs présentant un plus lourd passif criminel. Les personnes à la tête d’une organisation criminelle sont celles qui retireront le plus large profit de ce crime, alors même qu’elles ne sont jamais présentes sur l’itinéraire de trafic illicite d’êtres humains et ne sont jamais en contact avec les migrants qui en sont l'objet. Ces criminels peuvent tirer des profits illicites conséquents de toute une série d'autres formes de criminalité organisée en plus du trafic de migrants, notamment le blanchiment d'argent, le trafic de stupéfiants et d'armes, et même la traite des êtres humains (pour en savoir plus, voir Le trafic illicite de migrants et les crimes associés dans le présent chapitre).

Example
Caractéristiques d'une entreprise de trafic illicite sophistiquée :
  • Portée transnationale ;
  • Recours à divers réseaux de prestataires de services ;
  • Capacité à influer sur les fonctionnaires et le public ;
  • Accès à d'importantes sommes d'argent à différents endroits ; liens avec d'autres entreprises criminelles ;
  • Capacité à modifier les services en fonction des conditions du « marché » (facilité d'entrée, attrait d'une destination pour les clients existants et potentiels) ;
  • Présence de personnes susceptibles de violence dans leurs réseaux

Le trafic illicite de migrants et les crimes associés

Le trafic illicite de migrants est devenu une activité très rentable compte tenu de ses faibles coûts opérationnels et de la demande forte et persistante résultant de politiques migratoires plus strictes dans les pays de destination. Cette activité se chiffrerait à 10 milliards de dollars américains ou plus par an (Lazczko, 2017). Les réseaux criminels qui facilitent le trafic de migrants commettent généralement d'autres crimes en parallèle, tels que le trafic de stupéfiants, la traite ou l'enlèvement de personnes, autant d'activités qui peuvent rapporter d'importantes sommes d'argent aux auteurs de ces crimes.

Trafic illicite et corruption

Les groupes criminels organisés ne pourraient pas mener leurs activités de trafic illicite à grande échelle sans corrompre des fonctionnaires. Ils les corrompent grâce aux profits élevés que ce commerce illicite génère ou en recourant à l'intimidation et à la coercition. La corruption est un obstacle important à la prévention et à la détection du crime de trafic illicite de migrants ainsi qu'aux poursuites de ses auteurs ; elle entrave également la coopération entre les services de détection et de répression. Pour lutter contre le trafic illicite, il convient de s'attaquer également à la corruption. 

Policy Approaches
Prévenir et combattre la corruption pour lutter contre le trafic illicite de migrants
  • Mettre en œuvre des mesures de lutte contre la corruption issues de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) ;
  • Élaborer des stratégies de limitation des risques afin d'évaluer la vulnérabilité des agences et/ou des personnes face à la corruption.
  • Adopter des normes éthiques et des codes de conduite applicables à tous les membres de l'organisation, conformément aux normes internationales.
To Go Further
  • Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), document de travail : Corruption and the smuggling of migrants, 2013. Document de réflexion sur le rôle de la corruption dans le trafic de migrants.
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Policy Approaches
Lutter contre l’aspect « offre » du trafic illicite de migrants
    • Comprendre le mode opératoire des réseaux de trafic illicite de migrants.
    • Contrôler l’importation et l’enregistrement des bateaux, des canots pneumatiques et des embarcations motorisées couramment utilisés par les passeurs.
    • Veiller à l’intégrité et à la sécurité des documents d’identité et de voyage, ainsi que de leur procédure de délivrance.
    • Renforcer les mesures prises pour localiser, saisir et confisquer les actifs liés au trafic illicite, dans l'optique de remonter jusqu’aux personnes à la tête du réseau.
    • Développer des stratégies visant à rendre le trafic illicite d’êtres humains moins lucratif afin de décourager les groupes criminels organisés de proposer des services de passeurs.
Messages clés
  • Les États doivent adopter une approche globale basée sur quatre piliers : poursuite, protection, prévention et coopération.
  • Les politiques et les programmes doivent tenir compte des facteurs qui régissent la demande et l'offre de trafic illicite de migrants.
  • Pour être efficaces, les campagnes de sensibilisation doivent être correctement ciblées et véhiculer des messages pertinents.
  • Améliorer l'efficacité du système de gouvernance des migrations pourrait contribuer à réduire la demande de services de passeurs.
  • Les modes opératoires des passeurs évoluent rapidement pour s'adapter aux politiques d'immigration et aux mesures de détection et de répression. Le trafic illicite de migrants est associé à d'autres actions menées par des groupes criminels organisés, généralement commises par les mêmes groupes le long des mêmes itinéraires.
  • Les politiques et mesures de détection et de répression choisies doivent être collaboratives, proactives et inventives, et s'appuyer sur les renseignements et les meilleures technologies disponibles de façon à garder une longueur d'avance sur les passeurs.