L’article 3(a) du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants (également abordé dans la section Droit et principes internationaux de ce chapitre) définit le trafic illicite de migrants. Il invite les États à harmoniser leur définition de ce crime avec l'acte et l’objectif tels qu’exposés dans le Tableau 2.
ACTE | OBJECTIF |
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L’article 6(1) du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants exige également des États Parties qu'ils criminalisent les actes présentés dans le Tableau 3.
ACTE | OBJECTIF |
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L’exception humanitaire
Si le Protocole des Nations Unies relatif au trafic de migrants impose la notion d'avantage financier ou d'autre avantage matériel comme élément constitutif du crime, certains États ne l'incluent pas dans leur définition nationale. Les acteurs humanitaires qui aident les migrants à franchir les frontières de manière irrégulière sans recherche d'un gain financier ou matériel encourent ainsi un risque. Les travaux préparatoires, le compte rendu officiel des négociations, de l'UNTOC et du Protocole font clairement état d'une intention d'exclure les activités des personnes qui viennent en aide aux migrants pour des raisons humanitaires ou sur la base de liens familiaux étroits.
Un citoyen français (A. X.) a été accusé d'avoir facilité la migration irrégulière de quatre personnes (deux ressortissants maliens et deux ressortissants libyens) en les transportant dans la voiture de sa mère jusqu'à la gare de Fontan/Saorge, en France. Le prévenu est membre d'une association humanitaire qui aide précisément les migrants dans le besoin sans demander de contrepartie matérielle ou financière. De nombreux membres avaient déjà été inculpés et condamnés pour avoir facilité des migrations irrégulières, notamment A. X. condamné à trois mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Nice. La Cour de cassation a acquitté le prévenu de tous les chefs d'accusation, les juridictions inférieures ayant fait une application erronée de la clause d'exception humanitaire visée à l'article L. 622-4, n° 3 du CESEDA.
- Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), document thématique : Le concept d'« avantage financier ou autre avantage matériel » dans le Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants, 2017.
- Inclure tous les éléments des crimes et infractions associées dans les législations nationales et prévoir des sanctions efficaces.
- Mettre le droit national en conformité avec le droit international en ce qui concerne le fait de faciliter le passage illégal d'une frontière par une personne sans en tirer d’avantage matériel ou financier. Cet acte ne devrait pas être assimilé à du trafic illicite et, de ce fait, ne devrait pas être criminalisé.
- Si l'élément financier n'est pas inclus dans la définition nationale de trafic illicite, inscrire une exception humanitaire afin d'éviter les poursuites à l'encontre des acteurs humanitaires ou des membres de la famille.
Un crime transnational commis par un groupe de criminalité organisée
De par sa définition même, le trafic illicite de migrants est une infraction transnationale dans la mesure où il implique la traversée illégale de frontières internationales. Toutefois, de nombreuses activités rendant possibles les agissements des passeurs (telles que la contrefaçon de passeports ou la fourniture d’hébergements temporaires) se déroulent intégralement à l’échelle nationale et sont le fait de professionnels qui ne font pas nécessairement partie de groupes criminels à proprement parler. Le protocole a été interprété de façon à être largement appliqué (voir paragraphe 20 du Guide législatif pour l'application du protocole de l'ONUDC).
Les cibles criminelles les plus importantes, c’est-à-dire celles qu’il conviendrait de poursuivre pour déstabiliser au maximum le réseau, sont les organisateurs et les responsables qui supervisent les diverses composantes des réseaux de trafic illicite d’êtres humains, mais qui ne sont pas nécessairement physiquement impliqués dans la perpétration des actes criminels. Ce sont les criminels qui entrent dans cette catégorie qui retirent souvent le plus large profit du crime, mais aussi ceux qui sont le moins exposés au risque d’être traduits en justice.
Criminalisation des tentatives de perpétration du crime et de la participation au crime
- Criminaliser non seulement le trafic de migrants, mais aussi : les tentatives de trafic illicite, la participation en tant que complice et le fait d'organiser ou de donner des instructions à d'autres personnes pour la commission de ce crime (article 6[2]).
- Étendre la criminalisation aux personnes qui aident ou facilitent le crime.
- Étendre la responsabilité pénale aux personnes morales telles que les sociétés (articles 5 et 10).
En 2011, des poursuites ont été engagées en République dominicaine à l'encontre d'un passeur de migrants présumé. Le suspect avait transporté des migrants en bateau à rames entre le port de Haina, en République dominicaine, et une barge en mer, sur laquelle les migrants avaient été transférés pour être emmenés vers les États-Unis. Les migrants avaient dû s'acquitter d'importantes sommes d'argent.
Le suspect aurait quitté la République dominicaine avec un complice et trois migrants pour rejoindre une barge à destination de Miami. Le bateau à rames a chaviré avant d'atteindre la barge. Le suspect et son complice ont pu regagner la côte de la République dominicaine à la nage, mais les migrants se sont tous noyés. Le suspect, son complice et leur bateau ont ensuite été retrouvés par les garde-côtes. Tous deux ont été arrêtés ; en attendant son procès, le suspect ne s'est pas présenté au tribunal. Deux ans plus tard, il a été arrêté par la police en Italie, et la République dominicaine a entamé une procédure d'extradition. Bien que la République dominicaine et l'Italie n'aient pas de traité bilatéral, l'extradition a été accordée en vertu de l'article 16(4) de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC). Bien que la tentative de trafic illicite ait échoué, le suspect et son complice ont été accusés d'avoir eu l'intention de permettre l'entrée illégale sur un territoire dans le but d'en tirer un avantage financier ou matériel. De plus, bien qu'aucune frontière n'ait été franchie, l'intention de le faire suffit pour qualifier l'infraction de crime transnational. Le suspect et son complice ont été reconnus coupables et condamnés respectivement à 15 et 5 ans de prison.
Les points à retenir sont les suivants : condamnations pour conspiration, crime transnational sans passage de frontières et extradition sur la base de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en l'absence de traité d'extradition. Ces éléments ayant été intégrés à la législation nationale, les poursuites ont abouti.
Non-criminalisation des migrants objets d'un trafic illicite
Le Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants criminalise les actions du passeur, et non celles du migrant.
Le Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants prévoit la non-responsabilité des migrants objets d'un trafic dans le cadre du crime de trafic illicite de migrants.
Les migrants ne deviennent pas passibles de poursuites pénales en vertu du présent Protocole du fait qu’ils ont été l’objet des actes énoncés à l'article 6 de ce Protocole.
Article 5, Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants
Parallèlement, le protocole des Nations Unies contre le trafic illicite de migrants a été rédigé de façon à ne pas interférer avec la manière dont les États parties gèrent les migrations et luttent contre la migration irrégulière. Cette intention est explicitée à l'article 6(4) du protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants :
Aucune disposition du présent protocole n'empêche un État partie de prendre des mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne, une infraction.
Le protocole n'exige pas des États qu'ils suppriment les sanctions qu'ils appliquent aux migrants qui entrent ou résident irrégulièrement dans un pays. Les migrants objets de trafic illicite peuvent donc être tenus pour responsables d'infractions en matière d'immigration et d'autres infractions prévues par la législation nationale. Cette approche a récemment été réaffirmée par le Pacte mondial sur les migrations, dont l'objectif 9 stipule : « Nous nous engageons en outre à faire en sorte que les migrants ne soient pas passibles de poursuites pénales pour avoir fait l’objet d’un trafic illicite, sans préjudice d’éventuelles poursuites relatives à d’autres infractions à la législation nationale. »
Le protocole encourage néanmoins les États à veiller à ce que les migrants objets d'un trafic soient adéquatement identifiés, et à ce que tout besoin de protection et d'assistance soit identifié. (Pour en savoir plus, cf. paragraphe 1.3 Protection des droits des victimes du trafic illicite de migrants).
- Les migrants objets d'un trafic ne doivent pas être sanctionnés pour le crime de trafic illicite de migrants
- Les migrants objets d'un trafic peuvent être poursuivis pour d'autres manquements à la législation nationale, notamment des infractions liées à la migration.
- Élaborer des mécanismes de détection des migrants objets d'un trafic illicite afin d'identifier tout besoin de protection et d'assistance.
Les États peuvent solliciter la coopération des migrants ayant fait l'objet d'un trafic illicite afin d'enquêter sur les passeurs et de les poursuivre, notamment dans le cadre de crimes organisés avec dissimulation des chefs de file.
- Les États sont encouragés à solliciter la coopération (art. 26 de l'UNTOC) des migrants objets d'un trafic illicite pour qu'ils les aident à :
- Enquêter sur les passeurs et les poursuivre en justice ;
- Déstabiliser la criminalité organisée ;
- Identifier les itinéraires et modes opératoires des passeurs.
- Assurer une protection efficace des témoins – et des personnes qui leur sont proches – contre des actes de représailles ou d’intimidation de la part de groupes organisés (article 24, UNTOC).
Du fait de sa dimension très lucrative, le trafic illicite d’êtres humains fait souvent partie des activités criminelles proposées par les groupes criminels organisés (Pour en savoir plus sur les crimes associés, voir Comprendre et lutter contre l’aspect « offre » du trafic illicite de migrants de ce chapitre). L'expression « groupe criminel organisé » est définie comme suit à l'article 2 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC), la convention mère du Protocole des Nations Unies contre le trafic illicite de migrants :
Groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel
Les lois nationales de nombreux États, relatives au trafic illicite de migrants, ne prévoient pas nécessairement l'implication de groupes criminels organisés. Il s'agit toutefois de l'objet principal du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants et de l'UNTOC. En effet, le fait d'enquêter sur les autres crimes commis par les groupes criminels organisés, de les suivre et de les poursuivre en justice contribue à démanteler les groupes criminels et, par conséquent, à réduire l'incidence du trafic illicite de migrants.
- Criminaliser l'acte de participation à un groupe criminel organisé (article 5 de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [UNTOC]). Afin de pouvoir poursuivre de tels actes, il convient de rassembler des preuves sur les points suivants :
- L'implication de trois personnes ou plus agissant en tant que groupe structuré ;
- L'existence de ce groupe pendant « une certaine période de temps »
- Le fait d'« agir de concert », c'est-à-dire de manière coordonnée.
- Criminaliser le blanchiment du produit du trafic illicite de migrants (article 6 de l'UNTOC) :
- Mettre en place un régime de réglementation et de contrôle des banques et des institutions financières non bancaires ;
- Renforcer les capacités de détection et de surveillance des mouvements transfrontaliers d’espèces ainsi que de suivi de l'argent à l'intérieur du territoire ;
- Promouvoir la coopération internationale entre les autorités de détection et de répression et les autorités en charge de la réglementation financière.
- Se doter d'une législation qui permette la confiscation du produit du trafic illicite (articles 12 et 14, UNTOC).
- Criminaliser les actes commis dans le but de corrompre des agents publics, notamment les offres de pots-de-vin, ainsi que le fait d'accepter de telles offres (article 8, UNTOC) :
- Adopter des mesures législatives, administratives ou autres mesures efficaces pour promouvoir l'intégrité et pour prévenir, détecter et sanctionner la corruption d'agents publics.
- Garantir que les autorités puissent prendre des mesures efficaces pour prévenir, détecter et sanctionner la corruption d'agents publics. Il convient notamment de doter ces autorités d'une indépendance suffisante pour dissuader tout autre groupe d'exercer une influence inappropriée sur leurs actions.
Afin de poursuivre en justice le trafic illicite de migrants, les enquêtes sur les actes commis par les passeurs doivent s'appuyer sur des renseignements précis et actualisés. Les politiques gouvernementales doivent refléter la nécessité de ces renseignements, et le gouvernement doit fournir les ressources nécessaires à une collecte et une analyse efficaces de l'information. Les renseignements peuvent être exploités à l'échelle nationale dans des cadres stratégiques et tactiques. Dans la mesure où le crime de trafic illicite de migrants est commis dans plusieurs États, la coopération entre les services de détection et de répression est essentielle pour démanteler les réseaux criminels impliqués. (Pour en savoir plus sur les approches politiques en matière de collecte de renseignements et sur le rôle de la technologie, voir Migration régulée : gestion des frontières.)
- Tous les éléments du crime de trafic illicite de migrants, ainsi que les infractions associées et les sanctions efficaces, doivent être intégrés à la législation nationale.
- L'objectif du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants est de viser les groupes criminels impliqués dans le trafic illicite de migrants pour en retirer un large profit. Il est important de garder cela à l'esprit lors des enquêtes et des poursuites.
- Les tentatives de trafic illicite de migrants et la complicité de trafic illicite de migrants doivent être criminalisées. L'objectif principal de la législation et de la politique doit toutefois être de démanteler le réseau criminel impliqué dans le trafic illicite de migrants et de poursuivre les personnes à la tête de ce réseau.
- Les personnes morales, notamment les entreprises, impliquées dans le trafic illicite de migrants et les crimes associés doivent également être poursuivies en justice.
- Commettre une agression ou d'autres crimes dans le cadre d'un trafic illicite de migrants n'est pas simplement une circonstance aggravante, mais une infraction à part entière, qui doit faire l'objet d'une enquête comme s'il s'agissait d'une infraction distincte.
- Lorsque le processus de trafic illicite présente des circonstances aggravantes, les mesures prises pour le sanctionner doivent être d'autant plus strictes que le crime est plus grave.
- Les migrants objets d'un trafic illicite ne sont pas responsables du crime de trafic illicite de migrants.
- Solliciter la coopération de migrants ayant fait l'objet d'un trafic illicite pour réunir des éléments de preuve afin de poursuivre en justice le crime de trafic illicite.
- Les preuves recueillies concernant les crimes commis par les groupes criminels organisés, même si ces crimes ne relèvent pas du trafic illicite de migrants, sont néanmoins cruciales pour réduire l'incidence du trafic illicite de migrants.
- Mettre en place des systèmes de suivi financier, renforcer les enquêtes financières et lutter contre la corruption des fonctionnaires afin de démanteler les réseaux criminels impliqués dans le trafic illicite de migrants.
- Les sanctions financières, notamment la confiscation du produit du crime, sont des mécanismes efficaces pour dissuader les groupes criminels organisés d'offrir des services de passeurs.