"Une priorité constante pour les États sera et doit être d'améliorer la coopération en vue de réduire les mouvements irréguliers et de démanteler les réseaux criminels qui font commerce du trafic illicite de migrants ou de la traite des êtres humains, en tirant profit de leur désespoir et de leur quête d'une vie meilleure. (Peter Sutherland, ancien représentant spécial pour les migrations)

De par sa nature transnationale, le trafic illicite de migrants est un crime aux multiples facettes qui invite, pour garantir une lutte efficace, à une réponse coordonnée au niveau transnational. Les passeurs tirent parti du manque de coopération le long des itinéraires de trafic illicite de migrants au moment de déterminer leur modus operandi. Ils ont démontré leur aptitude à créer des réseaux de collaboration qui dépassent les frontières linguistiques, culturelles et géographiques pour perpétrer leurs crimes. Simultanément, les services de détection et de répression et les enquêteurs chargés de lutter contre le trafic illicite de migrants se sont révélés moins aptes à coopérer et à coordonner leurs efforts pour mettre un terme à ces activités illégales. Le manque de capacités juridiques et techniques pour coopérer au-delà des frontières est un problème de taille. La méfiance qui règne entre les agences, nombre d'entre elles n'étant pas disposées à coopérer avec leurs homologues au niveau régional ou international, en est un autre. Pour s'attaquer aux réseaux de trafic illicite de migrants dans leur entièreté, il convient d'améliorer la coopération régionale et internationale afin de compléter et de renforcer les mesures pénales prises à l'échelle nationale.

Coopération et coordination nationales

Compte tenu de la complexité des enquêtes et poursuites relatives au trafic illicite de migrants, toute une série d'acteurs doivent y participer. Le Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants ne précise pas comment les services nationaux doivent coordonner leurs rôles et responsabilités. De nombreux États ont toutefois mis en place des organes ou des comités de coordination interorganismes pour travailler sur les questions liées au trafic illicite de migrants au sein de leur administration. Les approches pangouvernementales contribuent non seulement à l'élaboration et à la mise en œuvre de réponses politiques et stratégiques, mais aussi à la réussite des opérations. Le trafic illicite de migrants est une entreprise aux multiples facettes ; il est donc recommandé d'adopter une approche pluridisciplinaire, non seulement au niveau interministériel, mais aussi en coopérant avec des acteurs non-étatiques. Les ONG, les organisations internationales et le secteur privé peuvent venir appuyer les réponses nationales dans le cadre de diverses initiatives de renforcement des capacités, de coordination et d'échange de bonnes pratiques (Mann, 2018: 116). Il est, par exemple essentiel d'inviter les organisations issues de la société civile à participer aux opérations de lutte contre le trafic illicite de migrants afin de protéger et d'aider les migrants. Cela peut également contribuer à donner aux migrants les moyens d'aider les fonctionnaires à enquêter sur les passeurs et à les poursuivre en justice.

Il existe des obstacles conséquents à la coopération efficace des acteurs, en particulier lorsque leurs intérêts et programmes ne concordent pas, voire s'opposent.

Coopération inter-organisme

Les enquêtes à grande échelle peuvent impliquer plusieurs agences, qui sont toutes responsables de la poursuite de différents crimes résultant du trafic illicite de migrants ou allant de pair avec celui-ci. La coopération entre ces institutions doit être facilitée aux niveaux juridique et procédural.

Example
Partage d'informations au cours de la procédure d'enquête

Les procureurs et les enquêteurs doivent se consulter entre eux non seulement lorsque la loi l'exige, mais aussi lorsque des conseils sont nécessaires ou pourraient être utiles en cours d'enquête, notamment en ce qui concerne les conseils ou consultations en matière de :

  • l'admissibilité et les ordonnances relatives à la collecte de preuves ;
  • la détermination de chefs d'accusation appropriés ;
  • l'évaluation de la solidité du dossier, de la crédibilité des témoins ;
  • la rédaction du Mémoire du Procureur et la réunion des documents qui seront nécessaires pour diverses finalités postérieures à la mise en accusation, notamment la caution ;
  • la préparation du gel des avoirs concernés.
Policy Approaches
Mise en place d'un organe de coordination inter-organisme sur le trafic illicite de migrants

Les États gagneront à mettre en place un organisme de coordination national pour appliquer le Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants. Cet organisme facilitera l’élaboration de politiques, de même que la planification et le partage d’informations relatives au trafic illicite de migrants.

  • Situer cet organisme au sein du ministère des Affaires Intérieures ou au sein du département ou de l'organisme le plus compétent en matière de gestion des frontières et des migrations.
  • Donner à l'organisme toute latitude pour travailler sur les questions liées au trafic illicite à tous les niveaux de l'administration en se coordonnant avec les ministères des Affaires Étrangères, de l'Emploi, de la Santé, de l'Éducation, de la Sécurité et d'autres encore si nécessaire. Toutes les parties prenantes concernées, y compris les acteurs de la migration, doivent connaître les mécanismes mis en place pour la coopération-inter organisme, et comprendre leurs propres rôles et responsabilités dans le domaine du trafic illicite de migrants, ainsi que les rôles et mandats de leurs partenaires potentiels.
  • Formaliser les accords avec les acteurs non-étatiques par le biais de protocoles d'accord ou d'autres accords appropriés afin de leur attribuer un rôle formel dans les structures de coordination comme les mécanismes d'orientation et les structures de comité.
  • Veiller à ce que les acteurs concernés se réunissent régulièrement pour permettre l'examen de cas particuliers et pour que les questions budgétaires ou procédurales soient abordées en amont de toute opération.
  • Mettre en place des mécanismes qui entreront en vigueur sur une base ponctuelle ou informelle en réponse à des situations d'urgence telles que l'arrivée massive de migrants objets d'un trafic illicite. La Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC) peut fournir une base juridique pour de telles initiatives.
  • Inciter cet organisme à instaurer un climat de confiance entre toutes les parties prenantes : il s'agit d'un élément essentiel du renforcement des capacités institutionnelles à long terme pour lutter contre le trafic illicite de migrants et protéger les migrants.

Il existe de nombreux exemples de bonnes pratiques en matière de coopération contre le trafic illicite de migrants, qui prouvent que, même s'ils ont des intérêts et des programmes divergents, différents acteurs peuvent œuvrer ensemble pour lutter contre le trafic illicite de migrants de manière globale, efficace et durable.

Good Practice
Équipe spéciale éthiopienne chargée de la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants

L'Équipe spéciale éthiopienne chargée de la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants coordonne les efforts du gouvernement en matière de trafic de migrants et de migrants de retour, en réunissant des agences gouvernementales, des ONG et des organisations internationales, ainsi que des organisations confessionnelles. Des groupes de travail sur des questions spécifiques interviennent au sein de l'équipe spéciale.

Coopération et coordination régionales et bilatérales

Plusieurs processus régionaux ont comme raison d'être de favoriser la coopération, la collaboration et l'échange d'informations et de bonnes pratiques en matière de lutte contre le trafic illicite de migrants, notamment ceux signalés dans le cadre du Dialogue politique interétatique. Les plateformes régionales peuvent servir de points de contact uniques pour la coopération en vue de renforcer les capacités et l'échange d'informations transfrontaliers.

Policy Approaches
Pratiques de coopération régionale en matière de trafic illicite de migrants

Les États peuvent élaborer conjointement des traités régionaux et infrarégionaux conformes à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, au protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants et aux normes en matière de droits humains.

Les États peuvent mettre en place des mécanismes de coopération pour :

  • Confisquer le produit d'un trafic illicite ;
  • Fournir une assistance afin d'identifier, de retrouver la trace et de saisir les biens associés à un trafic illicite ;
  • Mettre en place des mécanismes régionaux pour les procédures judiciaires ;
  • Explorer des alternatives durables à la migration.

Au niveau transfrontalier, il est recommandé aux États de conclure des accords bilatéraux pour :

  • Lutter contre le trafic d'êtres humains et protéger les migrants ;
  • Partager et échanger des informations sur la nationalité et le pays de résidence ;
  • Renforcer les enquêtes transfrontalières ;
  • Mener des enquêtes transfrontalières conjointes ;
  • Coopérer avec les organisations non gouvernementales (ONG) et les organisations issues de la société civile (OSC) (Mann, 2018 : 127).

Fondamentalement, les accords bilatéraux doivent s'appuyer sur une très bonne connaissance des causes profondes du trafic illicite de migrants et de ses tendances générales afin qu'ils ne créent pas simplement le détournement des itinéraires empruntés pour le trafic illicite de migrants et les dangers qui les parsèment.

(Pour en savoir plus sur les approches politiques en matière de mécanismes de coopération bilatérale, régionale et internationale, cf. Systèmes de gestion intégrée des frontières.

Good Practice
sélection d'organisations régionales coordonnant la lutte contre le trafic illicite de migrants

Équipe spéciale de Bali sur la planification et la préparation

Les États touchés par la crise de la mer d'Andaman survenue en 2015 en Asie du Sud-Est, au cours de laquelle des milliers de migrants sont restés bloqués sur des bateaux de passeurs et des centaines ont trouvé la mort, se sont réunis et ont reconnu que leurs engagements politiques échouaient à se traduire par des actions concrètes. Ils ont alors créé l'Équipe spéciale en charge de la planification et de la préparation afin de mieux se préparer à répondre efficacement aux mouvements en mer de migrants en situation irrégulière, notamment ceux facilités par les passeurs.

L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes

L'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX) joue un rôle clé : elle rassemble des États et d'autres acteurs afin de répondre à cette problématique, établit des normes, recueille et diffuse les meilleures pratiques en matière de lutte contre le trafic illicite de migrants.

Coopération et coordination internationales

Pour que les pays d'origine, de transit et de destination puissent collaborer, il convient qu'ils aient un engagement réciproque, une compréhension commune et harmonisée fondée sur le même cadre juridique, des partenariats égalitaires dotés d'une bonne capacité opérationnelle et, plus difficile à instaurer, une très grande confiance.

Indépendamment des accords existant entre les États, dans la pratique la coopération peut être compliquée en raison d'intérêts diamétralement opposés.

Le Protocole envisage une coopération qui ne se limite pas à des efforts opérationnels, mais prévoit d’autres manières de s'entraider pour les États, telles que le partage d'informations, l'assistance technique et le renforcement conjoint des capacités, ainsi que la lutte contre les causes socioéconomiques profondes du trafic illicite de migrants. Les États qui ne sont pas parties au Protocole sont néanmoins encouragés à utiliser ses dispositions lors de la conclusion d’accords, afin de garantir une compréhension juridique commune.

La coopération judiciaire et des enquêtes conjointes sont essentielles et doivent être intégrées à une approche globale qui offre aux migrants désireux de rejoindre leur famille ou de bénéficier d'une protection des alternatives efficaces au trafic illicite.

Policy Approaches
Formes de coopération internationale en matière de trafic illicite de migrants

Dispositions de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (UNTOC) :

  • Extradition (article 16). La Convention de Palerme peut servir de base juridique directe à la demande et à l'autorisation d'extradition d'individus accusés ou punis pour des délits de trafic illicite de migrants.
  • Entraide judiciaire (article 18). Les États Parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible lors des enquêtes, poursuites et procédures judiciaires concernant les crimes de trafic illicite de personnes. Des demandes d'entraide judiciaire peuvent être faites pour obtenir des preuves qui se trouvent dans un pays autre que celui où ont lieu les poursuites, par exemple pour rassembler des éléments de preuve ou obtenir des déclarations de la part de personnes, identifier des témoins et des suspects, effectuer des perquisitions et des saisies ou transférer des prisonniers pour qu'ils fournissent des preuves.
  • Enquêtes conjointes (article 19). Des enquêtes conjointes des services de détection et de répression peuvent se révéler utiles lorsque plusieurs États sont compétents pour connaître les infractions concernées ou lorsque les infractions sont susceptibles d'avoir des répercussions dans plusieurs États. Elles peuvent être établies sur une base bilatérale ou coordonnés par des agences de police internationales comme Interpol.
  • Coopération entre les services de détection et de répression (article 27). La coopération entre les services répressifs comprend l'échange d'informations et la coopération dans la conduite d'enquêtes.
  • Collecte et échange d’informations (article 28). Les échanges d’informations entre les services de détection et de répression, les services de contrôle aux frontières et les autorités de réglementation sont un mode rapide et efficace de coopération informelle. Ils permettent aux homologues des différents organismes nationaux d'échanger rapidement des renseignements (sans demande formelle d'assistance mutuelle) sur des aspects tels que les points d'embarquement et de destination, le mode opératoire des passeurs, la vérification des documents et la collecte proactive de renseignements.

Dispositions du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants :

  • Coopération autour du trafic illicite de migrants par mer (articles 7 et 8).
  • Collecte et échange d’informations (article 10).
  • Coopération en matière de contrôles aux frontières (article 11[6]) entre les services de contrôle aux frontières par l’établissement et le maintien de voies de communication directes.
  • Formation et coopération techniques en vue de prévenir le trafic illicite de migrants tout en respectant leurs droits (article 14).
  • Coopération dans la lutte contre les causes profondes (article 15[3).
  • Coopération en matière de retour des migrants objets d'un trafic illicite (article 18).

Pour en savoir plus sur l'application des lois et la coopération aux frontières, cf. Migration régulée : Gestion des frontières.

Le trafic illicite de migrants par la mer

Le protocole des Nations Unies relatif au trafic de migrants exige des États qu'ils coopèrent pour prévenir et lutter contre le trafic de migrants par la mer, mais précise que ces mesures doivent respecter strictement le droit international de la mer. Pour en savoir plus sur le droit de la mer, voir Droit international de la migration.

L’article 8 du Protocole des Nations Unies relatif au trafic illicite de migrants établit un mécanisme pour prendre des mesures de coopération contre le trafic illicite de migrants par la mer.

Policy Approaches
Mesures de recherche et d'interception des navires soupçonnés de transporter des migrants objets d'un trafic illicite
  • Les États peuvent demander l'assistance d'autres États pour lutter contre l'utilisation d'un navire soupçonné de se livrer au trafic illicite de migrants, quelle que soit la zone maritime dans laquelle se trouve ce navire (lorsque le bateau bat le pavillon de cet État ou y revendique son immatriculation ou lorsque, bien que ne battant pas le pavillon de cet État, il possède en réalité la nationalité de cet État) ;
  • Les États qui soupçonnent un navire étranger de se livrer à un trafic illicite doivent obtenir l'autorisation préalable de l'État du pavillon pour arraisonner et fouiller le navire ;
  • Les États qui soupçonnent un navire sans nationalité de se livrer à un trafic illicite peuvent arraisonner et fouiller le navire et prendre des mesures conformément au droit national et international ;
  • L'État se livrant à l'arraisonnement doit garantir à tout moment la sécurité et le traitement humain des personnes à bord ;
  • Les États doivent désigner une autorité chargée de recevoir les demandes d'assistance et d'y répondre. Il lui incombera notamment de confirmer l'immatriculation du navire, son droit de battre son pavillon et elle sera autorisée à prendre les mesures appropriées ; voir l'outil de coopération en ligne de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), un répertoire en ligne des autorités nationales compétentes en matière de demandes d'extradition et d'entraide judiciaire.
  • Les mesures prises en mer doivent être exécutées par des navires de guerre ou des avions militaires, ou par des navires ou des avions clairement identifiés et identifiables comme étant au service du gouvernement.