Normes et facteurs déclencheurs sexospécifiques

Le genre joue un rôle significatif dans la décision de migrer. En même temps, les facteurs qui influencent les personnes à migrer ont différents impacts sur les différents groupes sexospécifiques. Il existe cependant des nuances sexospécifiques entre ces facteurs. Par exemple, dans la plupart des scénarios, les normes sociales sexospécifiques font qu'il est attendu des hommes qu'ils soient le soutien de famille, et qu'on leur fournit un meilleur accès aux informations et ressources nécessaires à la migration. D’un autre côté, un ensemble de facteurs sociaux (tels que la division des rôles de soins), de raisons culturelles et parfois religieuses se traduisent par un accès plus limité des femmes aux informations et ressources nécessaires à la migration et par des attentes moindres en matière de migration des femmes.

Les responsabilités de soins ont des implications sexospécifiques. Prenons l'exemple des couples qui ont un enfant dans le pays de destination. Les femmes gagnent souvent moins que leurs maris, ce qui incite les pères à continuer de travailler et d’assurer un revenu plus élevé pour le foyer. Cela entrave l’accès des femmes au marché du travail et à la poursuite d’une carrière professionnelle. Un autre exemple : dans le cas d’un homme marié qui migre seul, les responsabilités de soins à la charge de sa femme dans le pays d'origine augmentent car elle s’occupe à la fois de sa belle-famille et de sa propre famille, ce qui réduit ses disponibilités et limite ses opportunités de poursuivre une carrière professionnelle.

Example
Impact sur les femmes restées dans leur pays d’origine

Pour certaines femmes, les rapatriements de fonds se traduisent par des charges supplémentaires de soins ou des pressions pour qu’elles cessent de travailler. Au Kerala, où l’émigration est traditionnellement dominée par les hommes, la charge de soins des femmes, en tant qu’épouses et belles-sœurs, augmente du fait de leurs responsabilités envers les adultes plus âgés (par exemple, les parents de leur époux). Dans certains cas, elles ont renoncé à leurs carrières et ont été forcées de rentrer après avoir travaillé à l'étranger (Ugargol et Bailey, 2018). Elles peuvent également subir de fortes pressions pour qu'elles cessent de travailler, vivent des rapatriements de fonds, et se dédient ainsi au « maternage proximal » qui les voit se concentrer exclusivement sur l’éducation de leurs enfants. Il en va de même au Pérou, où les hommes migrent vers les États-Unis (Bastia et Busse, 2011).

Or, ces dernières années, certaines normes sociales et culturelles omniprésentes à cause desquelles les femmes et les filles sont confrontées quotidiennement à la violence ou ne bénéficient pas d'un accès équitable à l’éducation, à l’emploi ou à la protection sociale, agissent de plus en plus comme des facteurs déclencheurs de la migration. Par exemple, les violences domestiques et la violence des gangs à l’encontre des femmes et des enfants sont l’un des facteurs principaux de migration depuis les pays tels que le Salvador, le Guatemala et le Honduras (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR], 2015) En découle un changement dans les migrations : alors qu’elles étaient majoritairement masculines, en particulier parmi les personnes choisissant les voies de migration irrégulière, elles sont désormais plus diverses et impliquent des femmes, des familles et des enfants non accompagnés (Hallock, Soto et Fix, 2018). Ce glissement depuis une migration principalement masculine présente des défis au système migratoire en place qui était surtout organisé pour les hommes, en particulier en termes de détention et de séparation des familles (cf Séparation des familles).

On peut également voir l’augmentation du nombre de femmes qui migrent indépendamment ou en tant que soutien de famille principal comme signe d’une demande croissante dans les secteurs « typiquement féminins » à l’étranger, tels que le milieu infirmier et les autres catégories de services de soins. Il arrive que des femmes se déplacent avant leurs maris et accumulent les responsabilités (à distance) envers leur famille à travers un rôle de soutien de famille. À l’étranger, les services domestiques et de soins sont des métiers communs pour les femmes migrantes. Avec l’entrée en nombre croissant des femmes des pays à haut revenu sur le marché du travail, la demande de femmes migrantes pour réaliser les travaux domestiques et les services de soins aux enfants et aux personnes âgées a aussi augmenté (voir Genre et migration de main-d’œuvre).

Policy Approaches
Comprendre les facteurs déclencheurs
  • Entreprendre des recherches qualitatives tenant compte des sexospécificités afin de mieux comprendre les facteurs ayant une influence sur la décision de migrer des hommes, des femmes, des garçons, des filles et des personnes non-binaires. Ainsi, il est possible de mieux comprendre les routes migratoires empruntées et les risques auxquels les migrants y sont confrontés.
  • Adopter des approches pangouvernementales et pansociétales, en sollicitant la contribution de multiples ministères et parties prenantes non gouvernementales lors de l’élaboration d’une stratégie visant à répondre aux facteurs déclencheurs néfastes et à les prévenir, notamment ceux entraînant une migration du désespoir et une multiplication des risques.

L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont également des facteurs déclencheurs de migration, en particulier parmi les personnes qui subissent des discriminations directes ou indirectes (Maulik et Petrozzielo, 2017; OIM et HCR, 2016). Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) sont susceptibles de subir des maltraitances à cause de leur genre et/ou orientation sexuelle, en particulier dans les pays où les pratiques homosexuelles sont considérées comme des crimes (HCR, 2011) Les personnes transgenres et intersexes peuvent également faire l’objet de persécutions parce qu'elles ne sont pas conformes aux attentes et normes majoritaires en matière de genre, voire être exclues de l’éducation, des opportunités d’emploi et d’autres services. Il arrive que les personnes intersexes soient exposées à des interventions chirurgicales forcées pour « rectifier » leur anatomie (HCR, 2011).

Pour ces raisons, il est courant que les personnes LGBTI recherchent des lieux de destination ayant des visions normatives plus progressistes. Les facteurs tels que l’orientation sexuelle et l’identité de genre peuvent en outre être aggravés par d’autres aspects intersectionnels de l’identité des personnes, tels que la race, la religion, l’origine ethnique et les capacités physiques, et conduire à des situations de vulnérabilité pouvant pousser à la migration.

To Go Further
  • OIM et Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR], Formation – Personnes LGBTI. Cet outil couvre les thèmes fondamentaux liés au travail avec les personnes LGBTI en contexte humanitaire, notamment la terminologie, les questions mondiales, les types de discrimination et de persécution auxquels les personnes LBGTI sont exposées, les modalités pour une communication efficace avec les personnes LGBTI ainsi que les préconceptions problématiques qui existent et peuvent affecter la mise à disposition d’assistance efficace.
Le genre en contexte de crise et d’après-crise

Les inégalités de genre existent dans des sociétés qui ne sont pas en crise, mais elles peuvent souvent être exacerbées par et pendant les crises. Les situations de crise et d’après-crise, les rapports de force inégaux et la discrimination sexospécifique donnent souvent lieu à des violences physiques, sexuelles ou émotionnelles, ou à des conséquences économiques et politiques. En raison d’inégalités préexistantes, les hommes, les femmes, les garçons, les filles et les personnes non-binaires sont affectés différemment par les crises. Les rôles assignés par la société peuvent compliquer la recherche de sécurité. Par exemple, leur rôle s'aidant familial peuvent empêcher les femmes de voyager sans tuteur de sexe masculin (Comité permanent interorganisations [IASC], 2017; OIM, 2018). Il est en outre fréquent, en temps de crise, que les communautés reviennent à des normes plus traditionnelles en matière de genre. L’imposition de normes traditionnelles peut être utilisée pour maintenir l’ordre social dans un contexte de conflit armé et/ou de déplacement (Harper, 2015).

Les situations de crise – en particulier les situations dans lesquelles la protection des familles et des communautés est dégradée – ont tendance à accroître l’exposition à différents risques de protection, notamment à la violence basée sur le genre (VBG) (voir Violences basées sur le genre et exploitation) Alors que dans le monde, 35 % des femmes ont subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de partenaire intime ou d’une autre personne à un moment de leur vie, les études montrent que ce chiffre peut, en temps de crise, passer à 65 % (Global Women’s Institute [GWI] et International Rescue Committee [IRC], 2017) Ce type de violence peut être à la fois un facteur catalyseur de la migration, et un trait caractéristique de ces mouvements. Les conséquences sont graves et peuvent dépasser le cadre individuel en affectant des familles et des communautés entières.

Image / Video

Source

OIM, 2012.

Durant les conflits, la VBG est fréquemment utilisée comme arme de guerre. Elle peut mettre les personnes en danger de mort et a souvent des conséquences durables qui nécessitent une réponse sur le long terme au-delà de la phase d’urgence. Dans les situations où il est difficile de gagner des moyens de subsistance, les femmes et les filles, ainsi que les hommes, les garçons et les personnes non-binaires risquent l’exploitation sexuelle et la maltraitance en échange d’hébergement et de nourriture, voire pour leur survie. Alors que la VBG peut toucher toutes les personnes, les femmes et les filles sont mondialement affectées de manière disproportionnée par cette violence (OIM, 2018)

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des interventions humanitaires devraient être fondées sur une consultation active avec les populations affectées et prendre en compte les dimensions sexospécifiques et autres vulnérabilités, notamment le sexe, l’âge, la race, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’origine ethnique, les handicaps et risques de VBG (Sphere, 2018, OIM 2018) Par exemple, afin de fournir aux ménages dirigés par une femme l’accès à l’hébergement et à des produits non alimentaires, des mesures spécifiques supplémentaires peuvent être nécessaires, telles que la protection de la vie privée ainsi que de la sûreté et de la sécurité, ou encore la prise en compte des responsabilités en termes de soin et autres (pour plus d’informations, voir le  Réponses d’urgence).

Policy Approaches
Remise en question des normes et pratiques sociales délétères
  • Améliorer l’implication des femmes dans les activités économiques qui leur étaient refusées auparavant. Par exemple, mettre en place et soutenir des programmes de promotion de l’égalité des genres dans le cadre des efforts de reconstruction, ou fournir l’accès à un pouvoir de décision accru ou à des postes de direction dans les camps ou les environnements similaires.
  • Afin de comprendre les réalités des différents groupes sexospécifiques, demander aux chercheurs indépendants d’entreprendre des évaluations qualitatives sexospécifiques dans les situations de crise.
  • S’assurer que les données sont communiquées en temps réel. Sans ces données, les décideurs politiques et partenaires du secteur du développement risquent de répondre à des enjeux supposés plutôt qu’aux besoins réels lors de leurs tentatives d’amélioration des pratiques et des programmes.

Les idées préconçues sur les groupes de genre, ou les perceptions erronées à leur égard, peuvent influencer injustement leur traitement dans les situations de crise. Par exemple, la perception que les femmes et les filles sont de manière innée plus vulnérables peut détourner l’attention des agences d’aide internationale des hommes et des garçons. Il peut en résulter que les hommes et garçons déplacés non accompagnés sont particulièrement vulnérables aux problèmes de santé psychologique causés par l’isolement et les traumatismes physiques ou mentaux négligés (Brun, 2017) De la même façon, la perception selon laquelle les personnes de sexe masculin ont moins besoin d’aide peut mener à des scénarios où des garçons ne sont pas perçus comme des enfants et sont soumis à des tests physiques plus poussés jugés inutiles pour les filles (Brun, 2017).

Le déplacement peut également affecter les rôles perçus comme masculins, en particulier dans les camps ou les environnements similaires. Dans de telles situations, sans accès à l’emploi, où les personnes dépendent de l’aide humanitaire, le rôle perçu comme masculin de « soutien de famille principal » ou de « protecteur de la famille » est mis à mal (Birchall, 2016). Sur les hommes qui voyagent seuls, s’ajoute souvent la pression de la part de la famille d’envoyer de l’argent à la maison, ce qui augmente la nécessité de travailler. L’impossibilité de trouver du travail peut affecter directement l’estime de soi des personnes et leur perception de leur propre masculinité (Brun, 2017). Ce qui peut avoir pour conséquence d’accepter des emplois officieux et non protégés, où ils n’ont que peu de pouvoir de négociation pour revendiquer le respect du droit du travail ou demander un salaire spécifique (Brun 2017).

Les personnes LGBTI sont confrontées à des difficultés supplémentaires. Beaucoup d’entre elles ont subi ou subissent toujours des maltraitances et discriminations ciblées et sont susceptibles de ne pas vouloir parler de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre avec la communauté en charge de la protection par crainte de répercussions (Rumbach, 2013). Ce qui signifie que leurs besoins de protection ne sont pas satisfaits (HCR, 2011). Les rapports sur les camps et les environnements similaires indiquent que, par crainte de telles représailles, les réfugiés LGBTI signalent rarement les situations de harcèlement, d’exploitation et de violence sur le lieu de travail, ou de leur licenciement en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Good Practice
Des « safe spaces » pour les réfugiés LGBTI en Irak

Le personnel travaillant dans les centres d'aide à la réinstallation en Irak a souvent utilisé une « pancarte de safe space » pour informer les réfugiés que le centre croit à l'égalité des droits pour tous et que les personnes persécutées pour leur orientation sexuelle ou leur identité de genre peuvent s'exprimer librement au sein du centre. Des brochures et d’autres supports de sensibilisation ont également accompagné ce message.

Un numéro vert a aussi été mis en place en période de violences anti-LGBTI pour que les personnes puissent demander de l’aide sans avoir à se rendre physiquement au bureau. En outre, le personnel du centre a été formé pour répondre aux personnes LGBTI. De cette manière, ils ont pu garantir que les réfugiés LGBTI aient accès à de l’aide psychologique, à des informations et à des services médicaux et sociaux dans les camps et les environnements similaires, pendant et après leur réinstallation.

Source

Rumbach, 2013.

Messages-clés
  • Le genre joue un rôle significatif dans la décision de migrer, alors qu’en même temps, les facteurs qui influencent les personnes à migrer ont différents effets sur les différents groupes sexospécifiques.
  • La perception des migrants, ainsi que leurs propres attitudes, sont souvent modelées par des normes sociales sexospécifiques.
  • Les situations de crise peuvent pousser les communautés à imposer des rôles sexospécifiques traditionnels dans le but de réaffirmer l’ordre social. Cependant, cela peut aussi permettre de redéfinir ces rôles.