Les cadres de gouvernance touchant aux migrations ne sont pas automatiquement sexospécifiques. Les cadres peuvent être proactivement biaisés en faveur d’un genre, ou ignorer entièrement la dimension de genre. De telles politiques peuvent sembler s’adresser à parts égales à toutes les personnes. Cependant, elles ignorent les besoins et réalités différents des hommes, des femmes, des garçons, des filles et des personnes non-binaires. Il peut en résulter des préjugés et des discriminations contre un ou plusieurs groupes (Organisation internationale du Travail [OIT], 2016).
FONDÉES SUR DES PRÉJUGÉS DE GENRE |
NEUTRES DU POINT DE VUE DU GENRE |
SEXOSPÉCIFIQUES |
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OSCE, 2009.
Pour être sexospécifiques, les politiques et stratégies migratoires doivent être développées sous le prisme de la dimension de genre. Les politiques qui ne prennent pas en compte les sexospécificités peuvent créer des obstacles, directement ou indirectement, à la migration sûre, ordonnée et régulière des différents groupes de genre. De plus, en l'absence de prise en compte des sexospécificités, les politiques ne seront peut-être pas en mesure d'apporter une réponse aux risques de violence, d’exploitation et d’abus dans une situation particulière de migration. Cela est notamment le cas pour certaines voies de transit, ou lorsque l’expérience de l’installation dans les pays de destination diffère selon les groupes de genre. Les politiques sexospécifiques sont nécessaires dès lors qu’il existe ou risque d’exister des inégalités de genre dans les pratiques et attitudes.
MISE EN PLACE |
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ANALYSE SÉXOSPÉCIFIQUE |
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ÉVALUATION DE L’IMPACT DU GENRE |
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CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS EN VUE D’AMÉLIORATION |
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Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), 2016.
La compréhension de l’incidence que les normes sociales et sexospécifiques peuvent avoir sur le façonnement de pratiques discriminatoires (directement ou indirectement) est une part non négligeable de l’élaboration d’une politique migratoire sexospécifique. Les politiques sur l’emploi et sur la migration abordant la question du travail domestique en sont un bon exemple, puisque celui-ci est souvent exclu du droit du travail de par sa nature intrinsèquement domestique. De nombreux gouvernements en ont été conduits à interdire la migration des femmes dans le cadre du travail domestique (Napier-Moore, 2017). Cependant, de telles décisions politiques ne s'attaquent pas aux facteurs qui poussent les femmes migrantes à décider de migrer dans le cadre du travail domestique, et ces politiques ont eu pour conséquence de conduire à une migration irrégulière nettement plus risquée (Napier-Moore, 2017).
Adopter une approche sexospécifique à la politique migratoire peut répondre à la discrimination sexospécifique et au manque d’égalité des genres. Lorsque les déplacements, les services et/ou les expériences sont différenciés en fonction du genre, les politiques sexospécifiques peuvent répondre à ces différences. Si une politique est sexospécifique, elle n’avantage pas un groupe sexospécifique ni n’en discrimine d’autres. Par exemple, il est courant que les refuges et services dédiés aux victimes de la traite des personnes ne soient ouverts qu’aux femmes et aux filles. Ils ne sont donc pas sensibles au genre puisqu’ils discriminent les hommes, les garçons et les personnes non-binaires.
- Le gouvernement indonésien a élaboré une feuille de route pour le travail domestique dans le but d’encourager les pays d’accueil des migrants indonésiens à les reconnaître comme travailleurs officiels et à leur donner des droits. Il a également élaboré la Régulation N° 4/2008 qui exige une révision des régulations dans les pays de destination n’ayant pas signé de protocole d’accord avec l’Indonésie (Birchall, 2016).
- Aux Philippines, la Magna Carta des femmes (RA 9710) prévoit que l'État doit tout mettre en œuvre pour répondre aux causes de l’émigration, en développant des opportunités locales d’emploi et d'autres opportunités économiques, et en mettant en place des mesures pour réduire la violence et le déplacement des femmes et filles locales.
Pour assurer une mise en œuvre effective des politiques sexospécifiques, il est nécessaire de prévoir des ressources humaines et financières adaptées. Les discriminations fondées sur le genre étant souvent ancrées dans les normes sociales et les idées sur ce qui est « bien » et « normal » pour les différents genres, elles prennent rarement fin sans intervention proactive pour faire changer les perceptions qui les motivent. Il convient notamment de réagir aux attitudes des pouvoirs publics en charge de la mise en œuvre des politiques migratoires.
La représentation de tous les groupes sexospécifiques parmi les fonctionnaires en charge de cette problématique constitue une solution permettant de renforcer la mise en œuvre de politiques migratoires tenant compte de la dimension de genre. Il est également crucial que ces fonctionnaires soient en capacité de comprendre le rôle des normes en matière de genre et l’interaction entre sexospécificités et migration. Certains États ont mis en place des unités dédiées aux sexospécificités responsables de garantir la diversité en matière de genre au sein des divisions ou des départements du gouvernement, ainsi que la mise en route du renforcement des capacités. Il est tout autant nécessaire de veiller à une budgétisation adaptée de ces politiques. Les interventions politiques doivent avoir les ressources financières adaptées pour être à même de réponde de manière adéquate aux questions sexospécifiques.
La budgétisation tenant compte des questions sexospécifiques est un outil qui analyse l'impact positif ou négatif potentiel de l'allocation des ressources aux différents groupes sexospécifiques. L’objectif est de veiller à ce que les allocations budgétaires favorisent l’égalité des genres (Organisation internationale du travail [OIT], 2016) Par exemple, la mise en œuvre d’une politique assurant aux travailleuses migrantes un accès aux soins de santé sexuelle et reproductive implique de fournir aux prestataires de soins les ressources financières nécessaires pour élargir le périmètre de leurs services. Il est également important que les fonctionnaires ne soient pas les seuls à comprendre pleinement la nouvelle politique et à l’appliquer, mais que le secteur privé, les partenaires, les prestataires de première ligne, les employeurs, les syndicats et les organisations de la société civile aussi. Les décideurs politiques peuvent fixer des objectifs de développement des capacités pour les partenaires opérationnels. Ainsi, toutes les parties prenantes concernées peuvent comprendre comment établir correctement un budget pour une gouvernance sexospécifique de la migration, et pourquoi.
- Mettre en place une unité dédiée aux sexospécificités et/ou exiger des agents des services publics qu’ils renforcent leurs capacités dans ce domaine. Ces mesures aideraient les autorités publiques à mieux comprendre le rôle du genre dans le contexte de la migration.
- Entreprendre une budgétisation tenant compte des questions de sexospécificité en allouant les ressources de manière à obtenir des résultats équitables en matière de genre. (Lorsque les ressources sont réparties de manière égale entre tous les genres, les impacts et résultats peuvent ne pas être équilibrés.)
- Étendre la responsabilité d’une gouvernance tenant compte de la dimension de genre à tous les partenaires et parties prenantes, y compris le secteur privé, les employeurs, les syndicats et la société civile.
La Politique du bien-être des expatriés et de l’emploi à l’étranger (2016) du Bangladesh (Bangladesh Expatriates’ Welfare and Overseas Employment Policy) comprend des directives spécifiques à la migration des travailleuses, visant à prendre en compte les ressources financières et humaines. Parmi ces directives :
- Mise en place d’une division permanente au Ministère de l'Emploi à l’étranger et de la protection des expatriés pour concevoir des approches et une implémentation coordonnée des programmes de soutien aux femmes migrantes travailleuses ;
- Amélioration des allocations budgétaires en tenant compte des sexospécificités pour répondre à la croissance et à la diversification de la participation des femmes au processus migratoire ;
- Recherche de coopération avec diverses organisations de la société civile, donateurs internationaux et ONG afin d'obtenir un appui technique et en ressources pour les programmes de promotion, de protection et d’autonomisation ;
- Augmentation de la présence des femmes dans les divisions de protection sociale des travailleurs, notamment dans les pays avec un nombre important de femmes migrantes travailleuses.
ONU Femmes, 2019.
L’objectif du suivi et de l’évaluation des politiques sexospécifiques est de fournir des retours d'information précis. Les suivis et évaluations accessibles et inclusifs devraient comporter un mécanisme permettant de recueillir les données d’un large éventail de parties prenantes, y compris les migrants eux-mêmes et les personnes affectées par la migration, représentatifs de différents groupes sexospécifiques. De tels systèmes devraient également être dotés d’un mécanisme solide d’analyse et de synthèse des retours d’information, qui peuvent ensuite être rapportés aux indicateurs sexospécifiques. Il est possible de mettre en place un groupe de travail pour examiner et rendre compte des progrès de la gouvernance sexospécifique de la migration au niveau national.
- Demetriades, J. , Indicateurs sexospécifiques : Quoi, pourquoi et comment ?, 2007. Cette publication détaille l’utilisation des indicateurs sexospécifiques en tant que moyens de mesure du changement. Elle traite également de ce qui doit être mesuré/considéré lors de la prise de décisions dans le cadre d’une politique, d’un programme ou d’autres activités.
- Mettre en place un groupe de suivi et d'évaluation sexospécifique composé de représentants du gouvernement, d’employeurs, de syndicats, de membres de la société civile et de représentants des migrants. Cette initiative permettra de mieux tenir compte de la dimension de genre dans les indicateurs, la collecte de données et la communication.
- S’assurer que les groupes de suivi et d’évaluation comprennent des spécialistes des questions de genre et de migration, ainsi que des personnes compétentes en matière de suivi et d’évaluation. Ce groupe doit être en mesure d’identifier les lacunes des données, d’émettre des recommandations pour les combler (grâce à une ventilation par genre), d’établir des indicateurs sexospécifiques et de s’assurer que la collecte et l’analyse des données tiennent compte de la dimension de genre.
- S’assurer que les approches de suivi et d’évaluation sont développées et mises en œuvre de manière transparente et participative, de sorte que les hommes, les femmes, les garçons, les filles et les personnes non-binaires puissent y prendre part sans crainte de représailles.
ONU Femmes, 2020.
- Les politiques migratoires soucieuses des questions de genre répondent de manière proactive aux discriminations sexospécifiques directes et indirectes causées par les normes et préjugés de genre.
- Afin que la gouvernance de la migration soit sensible à la dimension de genre, elle doit être développée en se fondant sur les données, la recherche et l’implication d’un éventail large et représentatif des parties prenantes.
- Les politiques migratoires soucieuses des questions de genre doivent être accompagnées d’un plan de dotation pour garantir qu’elles soient correctement mises en œuvre. Pour cela, il convient notamment d’utiliser des approches de budgétisation sexospécifiques, de mettre en place des unités dédiées au genre et d'adopter une approche globale du développement des capacités parmi les partenaires opérationnels.
- La mise en place et l’exploitation de mécanismes de suivi accessibles et inclusifs peut constituer la garantie d’une réponse adéquate des politiques en termes de préjugés et discriminations sexospécifiques.