Diversité des approches

La définition du concept de « développement » a évolué au cours des dernières décennies. Et les opinions concernant les relations entre le développement et la migration ont à leur tour changé. De manière générale, elles ont alterné entre des perspectives optimistes et pessimistes (De Haas, 2010a ; Lélé, 1991 ; Giddins, Hopwood et O’Brien, 2002). Cependant, ces deux visions négligent les facteurs sociaux et culturels, considérant que les migrants agissent de manière automatique et sont motivés uniquement par des considérations économiques. Pourtant, il est impossible de comprendre le lien entre migration et développement en tenant uniquement compte facteurs économiques déclencheurs de la migration, qui minimisent la réelle complexité des désirs et décisions humaines.

L’impact de la migration sur le développement dépend des stratégies gouvernementales et constitue l’un de ces facteurs sociaux et culturels. Les migrations sont déterminées et affectées par des questions et dynamiques au niveau des foyers, des cadres politiques locaux et nationaux et des réalités géopolitiques internationales. Chacun de ces niveaux peut influer sur les causes et les résultats des migrations. Parallèlement, les réalités de la migration peuvent avoir un impact aux niveaux du foyer, ainsi qu’aux niveaux local, national et international. Aborder la migration en gardant à l’esprit cette complexité permet aux décideurs politiques de comprendre non seulement comment la migration peut soutenir le développement durable, mais également dans quelle mesure les politiques [mises en œuvre] à différents niveaux peuvent affecter les schémas et les résultats des migrations.

Table
Tableau 1. Différentes conceptions du lien entre développement durable et migration

OPTIMISTE

  • Les opinions optimistes étaient prédominantes dans les années 1970, et sont de nouveau revenues sur le devant de la scène dans les années 1990. Elles sous-entendaient que les migrants agissaient en tant acteurs rationnels du marché.
  • Au début, l’opinion consacrée était que la migration s’effectuait des pays d’origine « à faible revenu » vers des pays de destination «  à revenu élevé »
  • Selon le point de vue optimiste, les décisions de migrer et les destinations découlaient d’une volonté de réduire les écarts de revenus.
  • Dans les années 1970, la vision optimiste ne prenait aucunement en compte les considérations sociales, politiques ou culturelles. Le lien n’était appréhendé que sous l’anglefonctionnaliste.
  • Dans les années 1990, le développement était alors perçu comme une trajectoire rectiligne, linéaire et inévitable, allant de la tradition à la modernité, à mesure que les pays franchissaient les « étapes du développement ».
  • Le sous-développement était vu comme résultant d’un manque de capital et de connaissances dans les pays à faible revenu. Dans ce contexte, les migrations permettaient donc une circulation de capitaux et de connaissances.
  • Le modèle actuel considère également la migration comme un outil de développement durable (Giddins, Hopwood et O’Brien, 2002; Haughton, 1999).
PESSISMISTE
  • Les points de vue pessimistes étaient répandus entre les années 1970 et 1990, suite aux échecs de nombreuses politiques de développement dans le monde.
  • Dans cette perspective, la migration était considérée comme une tentative de fuir la pauvreté structurelle, enracinée dans les relations internationales postcoloniales, plutôt que comme une stratégie visant à maximiser les revenus.
  • Les points de vue pessimistes supposaient que la migration était seulement possible pour ceux qui en avaient les moyens. De ce fait, la migration privait les pays d'origine de leurs travailleurs les plus qualifiés, au profit des pays à revenus plus élevés.
  • Le lien entre migration et développement était considéré comme négatif, bénéficiant uniquement aux pays de destination plutôt qu’aux pays d'origine.

 

Migration en tant que facteur déclencheur, conséquence ou composante inhérente du développement

Migration en tant que facteur déclencheur du développement

Le lien ne concerne pas uniquement la migration des pays à faible revenu vers les pays à revenu élevé. En effet, la migration a des conséquences à la fois dans les pays d’origine et les pays de destination en les aidant à atteindre des objectifs de développement.

Aux niveaux du foyer et de la famille, la migration peut souvent être une stratégie de diversification des revenus et de réduction des risques. De ce fait, elle peut contribuer à la réduction de la pauvreté pour les migrants et leurs familles. Les membres de la famille qui restent au pays bénéficient de la migration via des revenus et une consommation plus élevés. La résilience de la famille face aux crises s’en verra améliorée (en savoir plus dans Famille et migration). La migration favorise également les chances de meilleure éducation pour les enfants qui restent dans le pays d’origine (Antman, 2012; Toyota, Yeoh et Nguyen, 2007). La migration peut également favoriser l’autonomisation des femmes migrantes (et des groupes éventuellement marginalisés comme les individus non-binaires et la communauté LGBTI) lorsque l’égalité des sexes est davantage présente et/ou les normes sociales sont moins strictes dans les pays d’accueil que dans les pays d’origine (voir Genre et migration).

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Source

IOM, 2012.

De la même manière, la migration contribue à l’amélioration de l’accès à la santé, à l’éducation et à d’autres services. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que lorsque l’égalité d’accès aux services n’est pas assurée par des politiques solides, la disparité d’accès à ces services entre foyers migrants et non migrants peut conduire à renforcer les inégalités. À cet égard, il est important que les décideurs politiques prennent en compte les changements démographiques, en particulier en ce qui concerne les services de santé et d’éducation.

Plus généralement, les dynamiques telles que la participation de la diaspora, l'entrepreneuriat (y compris après le retour), et les envois de fonds à la famille et les rapatriements de fonds collectifs peuvent contribuer à l’économie du pays d’origine des migrants. De plus, les migrants peuvent participer au développement des territoires où ils vivent, aussi bien au niveau national que local.

Migration en tant que conséquence du développement

Il y a deux manières de considérer la migration en tant que conséquence du développement. La première : la migration peut découler de catastrophes. La deuxième : la migration peut découler des politiques de développement mal gérées.

Les migrations peuvent survenir suite à des catastrophes, ce qui peut occasionner des déplacements. Les catastrophes, qui sont et seront de plus en plus fréquentes en raison des bouleversements liés au changement climatique, génèrent des mouvements de masse (plus d’informations au Migration, environnent et changement climatique et au Prévention, préparation et réduction des risques). Ces déplacements causés par les catastrophes sont liés à la manière dont le développement et les défaillances structurelles peuvent conduire ou contribuer à une pauvreté aiguë et chronique, à des conflits et à l’insécurité. Ces facteurs peuvent également avoir une incidence décisive sur la décision des personnes de se déplacer.

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Source

IOM, 2012.

La migration peut également découler des politiques de développement mal gérées. Un exemple classique est le scénario du barrage construit par un État pour générer de l’électricité. De ce fait, des personnes perdent leurs terres et sont expulsées parce que la distribution d’électricité est prioritaire par rapport aux moyens de subsistance des personnes dont les terres sont désormais englouties. Lorsqu’elles violent le droit international et des dispositions des traités internationaux relatifs aux droits humains, y compris le droit à une indemnisation adéquate, ces actions constituent des expulsions forcées et entraînent souvent des déplacements ultérieurs. (voir Solutions et redressement).

Un autre exemple est celui d’une politique de réforme agricole, qui peut conduire à l’accaparement de terres ou à d’autres dynamiques de privation de terres, réduisant à néant toute perspective et forçant les individus à se déplacer. Les politiques commerciales peuvent également mettre en péril les moyens de subsistance des populations lorsque les marchés locaux sont soudainement ouverts aux importations bon marché, ce qui rend la production nationale moins attrayante. Chacun de ces exemples illustre la façon dont les politiques de développement font abstraction du coût humain ainsi que leurs effets sur les migrations (Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants des Nations unies, 2016).

Aspect intrinsèque du développement

La migration peut être un aspect intrinsèque du développement Il se vérifie si l’on prend l’exemple des zones de libre circulation, telle que l’Union européenne, dans lesquelles le modèle économique est basé sur la mobilité des personnes. La migration est l’une des pierres angulaires de l’économie européenne. Ce point est essentiel car il a également trait à tous les mécanismes régionaux similaires. Ces mécanismes reposent sur des règles communes, permettant la mobilité des travailleurs, mais aussi la transférabilité des prestations et la compatibilité des régimes fiscaux. La mobilité, comme nous le constatons, est un aspect clé de la prospérité régionale, des entreprises et des travailleurs d’une région. En l’occurrence, réfléchir à la manière dont la migration contribue au développement ou à la façon dont le développement contribue à la migration ne dévoilerait qu’une partie limitée de la situation globale, car, par définition, dans un mécanisme régional, la migration fait partie intrinsèque des politiques de développement (De Haas, 2010b).

To Go Further
  • Se référer aux documents élaborés dans le contexte de l’Initiative Conjointe pour la Migration et le Développement (ICMD), ainsi qu’à la plateforme de partage du savoirdédiée, mise en place par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’OIM et le Centre international de formation de l’Organisation internationale du Travail (CIF-OIT) avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), ONU Femmes et l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR).
Développement rural, migrations internes et résilience

La plupart des politiques de développement rural dans les pays à revenu faible ou intermédiaire estiment que des communautés rurales plus développées sur le plan économique et plus résilientes seraient moins susceptibles d’émigrer. Dans un contexte d’urbanisation rapide et en présence des défis de développement qui y sont associés, les migrations des zones rurales vers les zones urbaines tendent à être considérées uniquement comme un phénomène négatif qu’il faut empêcher. Mais cette hypothèse n'est pas nécessairement vraie. Les foyers plus aisés (ou leurs membres) peuvent, en fait, être plus aptes et plus susceptibles de migrer car ils disposent des ressources nécessaires (Clemens, 2014).

S’il est vrai que l’exode rural peut avoir des effets négatifs sur le développement, il est également vrai que la migration hors des zones rurales, en particulier quand elle est de nature temporaire, peut avoir des effets bénéfiques, entre autres sous la forme de rapatriements de fonds et d’acquisition de nouvelles compétences. Par exemple, les rapatriements de fonds envoyés par les migrants (souvent des migrants internes) contribuent à renforcer la résilience des foyers individuels et de la communauté toute entière dans les régions d’origine. La migration d’un ou de plusieurs membres de la famille diminue la vulnérabilité de l’ensemble de la famille face aux chocs environnementaux et autres, tels que les cycles saisonniers agricoles/climatiques (voir La gestion de la migration environnementale dans Migration, environnement et changement climatique).

Policy Approaches
Faciliter la mobilité interne
  • Faciliter les formalités d’enregistrement des migrants auprès des autorités publiques dans les zones de destination permet d’aider les migrants à bénéficier de services et de droits, notamment d’un logement sûr et abordable.
  • Accorder des droits à la propriété foncière, aux services de base, à la protection sociale et à la participation politique, de manière à ce que cette démarche ne soit perçue comme une discrimination positive en faveur des migrants ou comme un acte susceptible de porter préjudice aux résidents existants.
  • Améliorer les capacités des zones urbaines et de leurs infrastructures, de manière à répondre aux besoins de tous les résidents actuels et futurs, y compris des migrants.
  • Prendre en compte l’éventuel impact environnemental négatif de la migration interne non-gérée.
Importance de l’intégration

L’intégration est un élément crucial du lien entre migration et développement durable. Si, par exemple, les migrants ne peuvent pas pleinement s’intégrer dans la vie sociale, économique, culturelle et politique de la communauté d’accueil, leurs perspectives se verront limitées à des emplois faiblement rémunérés et peu qualifiés, sans possibilité de mobilité ascendante ni de formation continue. Dans de tels cas, les migrants ne peuvent contribuer au développement durable que via des rapatriements de fonds (dans les pays d’origine) et la fourniture de main-d’œuvre bon marché (dans les pays de destination). C’est pourquoi, il est nécessaire de bien comprendre l’intégration des migrants pour pleinement appréhender le lien entre migration et développement durable.

Lors de l’élaboration de politiques de développement, il est toujours mieux de les associer à des politiques d’intégration. Il faut donc tenir compte des besoins particuliers de certaines catégories de migrants qui auraient besoin d’aide pour participer activement à la vie sociale, économique, culturelle et politique de la communauté d’accueil. (voir Intégration et cohésion sociale). Malheureusement, il n’est pas rare que les politiques de développement et d'intégration soient élaborées séparément, tant au niveau national que local, mais également au sein de forums internationaux. Seuls quelques pays ont mis en place des approches pangouvernementales grâce auxquelles ces deux secteurs sont pleinement coordonnés en matière de politiques.

Messages clés
  • La migration peut être un facteur déclencheur du développement mais aussi l'une des conséquences d’une politique de développement ou l’une de ses composantes intrinsèques.
  • La compréhension du lien entre migration et développement durable a évolué avec le temps. D’une part, la perception de ce lien s’est éloignée des considérations purement économiques pour intégrer désormais les aspects sociaux, politiques et culturels. D’autre part, la définition du lien entre migration et développement a aussi évolué parallèlement suite aux changements dans les cadres internationaux.
  • Le lien entre la migration et le développement durable n’est pas nécessairement positif ou négatif, et n’est pas non plus représentatif d’une fracture entre les pays à revenu élevé et les pays à faible revenu. La migration peut à la fois avoir un impact (positif ou négatif) et être elle-même impactée (de manière positive ou négative) par le développement.
  • Les interactions entre migration et développement durable dépendent de politiques qui dépassent le cadre de la migration et répondent à des problématiques rencontrées tout au long de l’expérience migratoire. À cet égard, l’intégration des migrants et les politiques d’intégration constituent un aspect essentiel de la migration et du développement durable.