Coopération et coordination nationales

De par son caractère polymorphe, le crime de traite des personnes appelle une réponse de la part de multiples parties prenantes. Le concours des ministères de la Santé, des ministères des Femmes et de l’Enfance, ainsi que des prestataires de services non étatiques, peut s’avérer nécessaire pour s’assurer que les victimes obtiennent l’assistance et l’accompagnement appropriés. Lorsqu’une victime est en situation irrégulière, les ministères des Affaires étrangères et les autorités chargées de l’immigration peuvent être amenés à devoir s’assurer que le visa nécessaire est délivré (pour en savoir plus sur les visas humanitaires, veuillez consulter la section Contrôle des frontières à l’arrivée du Chapitre Réguler la migration : gestion des frontières) et que des services sont proposés à la victime pour lui permettre de rester dans le pays afin de pouvoir se rétablir et témoigner. Les autorités en charge de l’immigration peuvent également aider la police à recueillir des preuves, en fournissant des informations sur les méthodes et les procédures utilisées par les trafiquants pour faire entrer leurs victimes dans le pays. (Voir aussi la section Collecte de renseignements et au rôle des technologies du Chapitre Réguler la migration : gestion des frontières). De même, les inspecteurs du travail jouent un rôle essentiel en réunissant des preuves et en informant sur les conditions de travail abusives. Et parce que le crime organisé prospère et génère des profits, les institutions financières sont essentielles pour « tracer les mouvements d’argent » menant aux auteurs, et pour confisquer le butin de leurs crimes.

En bref, les acteurs étatiques et non étatiques doivent coopérer et coordonner leurs activités au niveau national, non seulement pour que les victimes de la traite puissent bénéficier de la protection et de l’assistance auxquelles elles ont droit, mais aussi pour que les poursuites aboutissent à des condamnations, et enfin pour que les efforts de prévention ne soient pas vains. Les moyens limités disponibles pour apporter une réponse doivent être utilisés de manière efficace, sans quoi leur impact potentiel risquerait d’être amoindri. Il importe de mettre en place des mécanismes afin de renforcer la coordination au niveau national.

Policy Approaches
Cadres institutionnels de coordination nationale

Recommandations pour les cadres institutionnels de coordination nationale :

  • Refléter les rôles et responsabilités de tous les ministères et organismes compétents dans la lutte contre la traite d’êtres humains ;
  • Fixer des points focaux au sein de tous les ministères et organismes participants ;
  • Contribuer au renforcement des capacités des agences concernées susceptibles d’être en contact avec les victimes de la traite ou de trafiquants ;
  • Mettre en place des Procédures opérationnelles standard pour répondre à des situations spécifiques. Parmi ces situations, il convient de citer, entre autres, l’identification et l’orientation des victimes intervenant comme témoins, ainsi que la collecte, la protection et le partage des données, etc.
  • Mettre en place des groupes de travail dans les communautés pour réunir les acteurs étatiques et non étatiques ;
  • Habiliter les autorités infranationales et les encourager à collaborer avec les ONG et les structures officielles ;
  • Impliquer une série d’intervenants dans les comités et groupes de travail nationaux.
Source

Département d’État américain, Bureau de surveillance et de lutte contre la traite des personnes, 2018 : 6.

La coopération fructueuse de tous les acteurs étatiques constitue une approche « pangouvernementale ». Pour faire face à un problème multidimensionnel, une approche pangouvernementale, souvent menée à bien au moyen de mécanismes de coordination nationale, est nécessaire pour mettre à profit les compétences et l’autorité d’un grand nombre d’acteurs (liés notamment à la justice, aux migrations, au développement, à la santé et au travail), ainsi que d’acteurs non étatiques. De tels mécanismes peuvent créer une plate-forme pour des réunions régulières et le partage d’informations et de connaissances. Au niveau le plus élémentaire, cette approche permet de s’assurer que les acteurs concernés comprennent ce qu’est la traite et quelles sont leurs responsabilités respectives. À un niveau plus avancé, le modèle permet de statuer et de coordonner la réponse à des cas spécifiques.

Good Practice
Mécanismes nationaux d’orientation

Les approches fondées sur les bonnes pratiques envisagent le recours à des plans d’action nationaux, des groupes de travail sur la lutte contre la traite et des groupes de coordination interinstitutions dirigés par un coordinateur national. Voici quelques exemples de mécanismes nationaux d’orientation :

  • En Australie, l’Interdepartmental Committee on Human Trafficking and Slavery (comité interdépartemental contre la traite d’êtres humains et l’esclavage) coordonne les efforts de l’État dans la lutte contre la traite.
  • En Éthiopie, l’Anti-Human Trafficking and Smuggling of Migrants Task Force (groupe de travail sur la lutte contre la traite d’êtres humains et le trafic de migrants)  coordonne les efforts de réintégration des victimes de retour. Emmené par le gouvernement, il est composé d’agences gouvernementales, d’organisations internationales et d’ONG, ainsi que d’organisations communautaires et confessionnelles.
  • En Géorgie, les efforts de lutte contre la traite sont coordonnés par l’Anti-Trafficking and Illegal Migration Unit (unité de lutte contre la traite et l’immigration illégale) de la police criminelle, quatre groupes mobiles, et des groupes de travail gérés par le ministère de l’Intérieur.
  • Au Guyana, le groupe de travail ministériel est dirigé par le ministère de la Protection sociale et comprend des représentants de plusieurs organismes gouvernementaux et d’ONG de lutte contre la traite. Il se réunit tous les mois et coordonne les opérations policières.
  • Aux Philippines, l’Interagency Council against Trafficking (IACAT) (conseil interinstitutions contre la traite d’êtres humains), dirigé par le ministère de la Justice, est composé d’organismes gouvernementaux et de représentants d’organisations non gouvernementales.

Approche multisectorielle

En plus de promouvoir l’approche « pangouvernementale », le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières promeut une approche « pansociétale » afin d’encourager de vastes partenariats multipartites réunissant, entre autres, des organisations intergouvernementales, des organisations internationales, des ONG, des migrants, des communautés locales, la société civile, des syndicats et le secteur privé. Une approche pansociétale entraine l’application d’un ensemble d’expertises en matière de lutte contre la traite, afin de parvenir à une approche globale des politiques, de la législation et de l’action contre la traite. Pour en savoir plus, voir le Chapitre Développer la politique migratoire.

Table
Tableau 2 : exemples de partenariats de lutte contre la traite pour la prévention, la protection et les poursuites

PARTENARIATS POUR LA PRÉVENTION

PARTENARIATS POUR LA PROTECTION PARTENARIATS POUR LES POURSUITES

Les acteurs du secteur privé donnent un aperçu des normes présentes dans le secteur de l’industrie et peuvent s’assurer de l’absence d’exploitation dans leurs propres chaînes d’approvisionnement (IOM, 2018b).

Les fournisseurs de technologie du secteur privé peuvent apporter une expertise sur la façon dont les technologies de l’information et des communications peuvent être exploitées pour prévenir la traite.

Les organisations internationales et non gouvernementales peuvent travailler avec des acteurs du secteur privé pour préserver leurs chaînes d’approvisionnement de la traite des personnes. Les acteurs étatiques de l’immigration peuvent travailler avec les syndicats, les défenseurs des droits du travail et des droits des migrants pour veiller à ce que les pratiques de recrutement dans les secteurs public et privé respectent les normes internationales et qu’elles ne soient pas exposées aux abus des trafiquants.

Les acteurs privés peuvent identifier des victimes potentielles dans leurs chaînes d’approvisionnement. Ils peuvent également offrir des moyens de subsistance, des mesures de réparation et un soutien au rétablissement, à la réadaptation et à la réinsertion des victimes (OIM, 2018b).

Les particuliers peuvent identifier les personnes potentiellement exploitées parmi leurs collègues ou les personnes auprès desquelles ils achètent des biens et des services, et signaler de tels incidents ou les rapporter aux autorités.

Des acteurs spécialisés peuvent être nécessaires pour aider les victimes vulnérables qui ont besoin d’un soutien spécialisé, notamment les enfants ou les adultes ayant des besoins de santé particuliers, ou ceux qui ont subi la torture. Les prestataires de services locaux (y compris les travailleurs sociaux, les travailleurs en centre d’hébergement, les éducateurs et les professionnels de la santé) sont indispensables lorsqu'il s’agit d’apporter des réponses précises et individualisées aux besoins de protection et d’assistance des victimes.

Les prestataires de services aux victimes peuvent soutenir les acteurs de la justice pénale en apportant protection et assistance aux victimes de la traite engagées dans une procédure pénale. 

Les représentants des communautés de migrants peuvent faire office d’interprètes, tant au niveau culturel que linguistique, pour les victimes qui coopèrent avec les autorités.

Les autorités nationales chargées de la protection sociale et de l’immigration peuvent avoir besoin de soutenir les acteurs de la justice pénale dans d’autres pays, en facilitant le retour des victimes pour qu’elles témoignent contre les trafiquants ou pour qu’elles livrent leur témoignage à distance.

Coopération et coordination régionales et bilatérales

Les approches régionales de la coopération ont été fructueuses dans de nombreux cas. Parmi les exemples dans certaines régions et sous-régions :

Au niveau bilatéral, des accords de coopération sont souvent conclus précisément en rapport avec la traite des personnes, ou sur des questions indirectement liées, telles que la migration de la main-d’œuvre ou le retour et la réintégration.

Good Practice
Coopération bilatérale entre la Thaïlande et le Myanmar

Dans le cadre du protocole d’accord entre le gouvernement royal du Royaume de Thaïlande et le gouvernement de la République de l’Union du Myanmar sur la coopération dans la lutte contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, les Gouvernements de Thaïlande et du Myanmar coopèrent par le biais de réunions semestrielles sur la gestion des affaires. L’objectif de ces réunions est d’améliorer les aspects pratiques de l’assistance transfrontalière, de l’échange de données et des visites de travailleurs sociaux du Myanmar aux victimes de la traite dans les refuges thaïlandais, avant leur retour au Myanmar.

Coopération et coordination internationales

La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme) et le Protocole relatif à la traite des personnes contribuent à éliminer les obstacles aux procédures de coopération tant formelle qu’informelle, en fédérant les États autour d’une compréhension commune de la nature de la traite et des réponses qu’il convient d’y apporter. La Convention de Palerme, traité « parent » complété par le Protocole relatif à la traite des personnes, contient des dispositions sur l’extradition et l’entraide judiciaire. En l’absence d’accords bilatéraux ou régionaux spécifiques, la Convention elle-même peut être utilisée par les États comme cadre pour l’exécution des demandes d’extradition et la recherche de l’entraide judiciaire.

Le Protocole encourage la coopération internationale contre la traite par des dispositions sur les mesures de contrôle des frontières et des documents, la formation, la recherche, l’échange d’informations et d’autres mesures. Il souligne aussi clairement le rôle des acteurs non étatiques et de la société civile en tant que partenaires coopératifs des États, en particulier dans l’assistance et la protection des victimes.

Le type de coopération internationale pertinent dans un cas précis de traite donnée peut être formel ou informel. La coopération formelle dans les réponses de la justice pénale comprend l’extradition et les demandes d’entraide judiciaire. La coopération informelle peut notamment signifier le simple fait pour les autorités policières ou migratoires d’entrer en contact pour obtenir des informations ou de l’aide (à ce propos, veuillez consulter la section Collecte de renseignements et rôle de la technologie, du Réguler la migration : gestion des frontières), avant qu’une demande officielle d’entraide judiciaire ne soit présentée.

Glossary
Entraide judiciaire

L’entraide judiciaire en matière pénale est un processus par lequel les États sollicitent et fournissent une assistance à d’autres États pour la signification d’un acte judiciaire et la collecte de preuves à utiliser dans les affaires pénales.

Source

(ONUDC, 2018b) (ONUDC, 2018b)

Glossary

extradition

The process whereby under treaty or upon the basis of reciprocity one State surrenders to another State at its request a person accused or convicted of a criminal offence committed against the laws of the requesting state, such requesting state  being competent to try the offender or to apply the sentence or detention order.

Policy Approaches
Procédures formelles et informelles de coopération internationale pour lutter contre la traite des personnes

Parmi les dispositions de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme) :

  • Extradition (article 16) : demander et obtenir l’extradition des personnes accusées ou condamnées pour des crimes de traite des personnes.
  • Entraide judiciaire (article 18) : les États Parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible lors des enquêtes, poursuites et procédures judiciaires concernant les crimes de traite des personnes.
  • Des enquêtes conjointes (article 19) des services de détection et de répression peuvent se révéler utiles lorsque plusieurs États sont compétents pour connaître des infractions visées ou lorsque les infractions sont susceptibles d’avoir des répercussions dans plusieurs États.
  • Coopération entre les services de détection et de répression (article 27).
  • La collecte et l’échange d’informations sur la nature de la criminalité organisée (article 28) entre les services de détection et de répression, les services de contrôle aux frontières et les autorités de réglementation sont un mode rapide et efficace de coopération informelle. Cela permet aux homologues des différentes agences nationales d’échanger rapidement des renseignements (sans demande formelle d’entraide) sur des questions telles que les points d’embarquement et de destination, les méthodes et procédures des trafiquants, la vérification des documents, et la collecte proactive de renseignements.

Dispositions du Protocole relatif à la traite des personnes :

  • Échange d’informations (article 10), prévu également dans la Convention de Palerme.
  • Mesures de coopération entre les services de contrôle aux frontières (article 11[6]) : Les États sont invités à établir et maintenir des canaux directs de communication :
  • Coopérer pour remédier aux facteurs qui rendent les personnes vulnérables à la traite (article 9).
  • Coopérer au rapatriement des victimes de la traite des personnes (article 8) : il s’agit de faciliter et d’accepter le retour en toute sécurité des victimes qui sont des ressortissants ou des résidents permanents. L’acceptation de cet article implique un engagement et des mesures à la fois de l’État depuis lequel la victime repart et de l’État qui l’accueille.

Pour en savoir plus sur cette question, voir la sous-rubrique Retour et réintégration des migrants vulnérables à la violence, à l’exploitation et aux abus du Retour et réintégration.

Dans certains cas, les États n’ont pas approuvé le recours à la Convention de Palerme sur la question de l’extradition et exigent une base juridique distincte (telle qu’une législation nationale ou un traité d’extradition spécifique). Dans cette situation, il est essentiel que la traite des personnes soit définie comme une infraction pour laquelle l’extradition peut être demandée. Cette approche répond aux exigences de coopération internationale énoncées dans la Convention de Palerme, lesquelles s’appliquent aux infractions formulées dans le Protocole relatif à la traite des personnes.

La coopération internationale, tant formelle qu’informelle, peut s’avérer délicate dans la pratique. Les différences entre les systèmes juridiques et la manière dont les institutions chargées de l’application de la loi et de la migration sont organisées peuvent compliquer la tâche des personnes pour identifier les bons contacts et les meilleurs modes de communication avec eux. Même une fois ces difficultés surmontées, des barrières culturelles et linguistiques peuvent apparaitre. Des problèmes de confiance peuvent également apparaitre avec les autorités réticentes à partager des informations entre elles. Ces difficultés démontrent la nécessité pour les acteurs de communiquer entre eux dès le départ, clairement et de bonne foi.

Good Practice
Action coordonnée des États contre la traite des personnes à travers l’opération Libertad

En avril 2018, plus de 500 policiers de 13 pays (dont Antigua-et-Barbuda, Aruba, la Barbade, le Belize, le Brésil, Curaçao, le Guyana, la Jamaïque, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Trinité-et-Tobago, les îles Turks-et-Caïcos et le Venezuela) ont collaboré pour arrêter 22 personnes et secourir près de 350 victimes potentielles de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé dans le cadre de raids coordonnés dans les Caraïbes, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Les autorités nationales ont bénéficié du soutien d’INTERPOL, ainsi que d’agents spécialisés déployés dans la région. Des services sociaux et des ONG étaient également présents pour garantir une approche centrée sur les victimes lors des auditions et dans le soutien aux victimes identifiées.

Source

INTERPOL, 2018.

To Go Further
Messages clés
  • Les acteurs étatiques et non étatiques doivent coopérer et coordonner leurs activités au niveau national pour que les victimes de la traite puissent bénéficier de la protection et de l’assistance auxquelles elles ont droit, mais aussi pour que les poursuites aboutissent à des condamnations, et enfin pour que les efforts de prévention ne soient pas vains. Il importe de mettre en place des mécanismes afin de renforcer la coordination au niveau national. 
  • Les politiques relatives à la prévention de la traite des personnes, à la protection des migrants vulnérables et à la poursuite des auteurs sont accentuées par l’inclusion d’un cadre institutionnel dans le but que la coordination nationale puisse renforcer les partenariats.
  • Recommandations pour les cadres institutionnels de coordination nationale : Fixer des points focaux au sein de tous les ministères et organismes participants ;. Prévoir le renforcement des capacités des organismes compétents susceptibles d’entrer en contact avec les victimes de la traite ou de trafiquants et mettre en place des groupes de travail dans les communautés pour réunir les acteurs étatiques et non étatiques.
  • La coopération bilatérale et régionale entre les États est une bonne pratique pour lutter contre la traite des personnes. 
  • La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme) et le Protocole relatif à la traite des personnes contribuent à éliminer les obstacles aux procédures de coopération formelles et informelles, en fédérant les États autour d’une compréhension commune de la nature de la traite et des réponses qu’il convient d’y apporter. 
  • La coopération formelle dans les réponses de la justice pénale comprend l’extradition et les demandes d’entraide judiciaire. La coopération informelle peut notamment signifier le simple fait pour des autorités policières ou migratoires d’entrer en contact pour obtenir des informations ou de l’aide avant qu’une demande officielle d’entraide judiciaire ne soit présentée.