Cette section s’intéresse, de manière succincte, aux acteurs non-gouvernementaux, notamment la société civile et le secteur privé. Elle aborde en particulier leur rôle dans la gestion et la gouvernance des migrations au niveau international. La démarche consistant à les consulter dans le cadre de l'élaboration, de l’application et de l'évaluation des politiques est appelée l’approche « pansociétale ».

Société civile

Bien que variable selon le contexte, la définition du terme « société civile » désigne, habituellement un large éventail d’organisations non gouvernementales et à but non lucratif qui animent la vie publique en fonction de considérations d’ordre éthique, culturel, politique, scientifique, religieux ou philanthropique (Banque mondiale, 2007).

La société civile englobe un éventail d’organisations et d'acteurs formels et informels de la société, qui défendent un intérêt collectif et sont distincts du secteur public et du monde de l’entreprise. Selon la définition, les acteurs suivants font globalement partie de la société civile :

  • Les ONG, des organisations à but non lucratif disposant d’une structure ou d’une activité organisée. Généralement, ce sont des entités enregistrées dont font partie :
    • Les ONG locales et internationales
    • Les réseaux d’ONG régionales et thématiques
    • Les diasporas, qu’il s’agisse de communautés ou de groupes
  • Les organisations confessionnelles.
  • Les syndicats et associations professionnelles.
  • Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (un organisme non gouvernemental international, hybride entre une OIG et une ONG, disposant d’un statut particulier en droit international).
  • Les chercheurs, y compris le monde universitaire, les groupes de réflexion, les chercheurs indépendants et les institutions de recherche.
  • Les fondations et fonds philanthropiques.
  • Les acteurs émergents de la société civile (tels que les groupes en ligne et communautés sur les réseaux sociaux).

Organisations non gouvernementales

Bien que souvent utilisé comme synonyme de la société civile, le terme « organisation non gouvernementale » (ONG) désigne plus précisément une catégorie spécifique d’organisations s’inscrivant dans le contexte plus large des organisations de la société civile. Ce terme englobe différents types d’organisations avec un large éventail d'intérêts et d'activités. Cependant, toutes ont en commun le dialogue politique structuré qu’elles entendent généralement engager. Ces organisations sont notamment composées d’associations d’entraide (au niveau local, de groupes de défense des droits humains, d’associations de migrants, d’associations de diaspora, de groupes politiques et d’étude, de groupes de pression/de défense ainsi que de groupes et de réseaux de coordination (pour en savoir plus sur le rôle des organisations non gouvernementales au niveau national, voir Chapitre 1.4.3 Formulation, consultation et adoption d’une politique).

Les ONG sont une source indispensable d’informations et de précieux partenaires pour la gouvernance des migrations et la gestion des migrations. Elles sont amenées à jouer un rôle central dans de nombreux domaines, notamment la prestation de services, la défense et la recherche (y compris dans le domaine des droits humains), la consultation et le suivi de la mise en œuvre d’une politique. Bien qu’ayant des missions, des tailles et des capacités institutionnelles différentes, toutes les ONG internationales et leurs réseaux peuvent peser sur les dialogues engagés dans le cadre de l’élaboration des politiques migratoires en influençant les procédures régionales et mondiales. Elles peuvent notamment avancer des arguments ciblés en faveur de la migration ou participer à des consultations internationales/régionales au niveau intergouvernemental.

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Policy Approaches
La collaboration avec les ONG internationales pour une gestion plus efficace des migrations
  • Exploiter les connaissances et l’expérience des ONG internationales pour influencer les processus d’élaboration des politiques.
  • Faciliter la participation des ONG internationales aux consultations régionales et mondiales.
  • Consulter les ONG internationales dans le cadre du développement, de la mise en œuvre et de l'évaluation des politiques migratoires au niveau national, et coopérer avec elles.

Syndicats

Au-delà de leur rôle à l’échelle nationale, les syndicats faisant partie de formations régionales ou mondiales peuvent concourir à harmoniser les politiques sur le marché du travail, les systèmes de protection sociale et la protection des travailleurs migrants à la fois dans les pays d’origine et de destination (pour en savoir plus, voir le rôle des Syndicats au niveau national au  consultation). Ce rôle peut se révéler particulièrement utile lors de la négociation d’accords bilatéraux de migration de main-d'œuvre (ABMM), et une concertation avec les représentants syndicaux à la fois des pays d’origine et de destination doit être envisagée lorsque le contexte s’y prête. (Pour en savoir plus sur ces accords et sur l’Élaboration de la politique en matière de migration de main-d'œuvre et de mobilité, voir le  Migration de main-d'œuvre et mobilité).

Example
Accord bilatéral de migration de main-d'œuvre entre le Népal et la Jordanie

De nombreux migrants népalais se rendent en Jordanie pour trouver un emploi. L’accord bilatéral de migration de main-d'œuvre conclu en 2017 entre le Népal et la Jordanie prévoit, entre autres dispositions destinées à protéger les droits des travailleurs migrants, l’insertion d’une clause dans le contrat de travail-type permettant aux travailleurs népalais de s’affilier en Jordanie à des syndicats dans leur secteur d’activité. Cette mesure peut contribuer à répondre aux situations de vulnérabilité dans lesquelles se trouvent souvent les travailleurs migrants, notamment car ils n’ont pas toujours connaissance de leurs droits.

Source

Wickramasekara, 2018.

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Policy Approaches
La collaboration avec les syndicats pour une gestion plus efficace des migrations
  • S'il y a lieu, faire participer les formations syndicales nationales/régionales aux processus d’élaboration des politiques.
  •  Intégrer les représentants syndicaux aux négociations des accords bilatéraux de migration de main-d'œuvre (ABMM).
  • Consulter les syndicats sur l’inclusion de dispositions adéquates dans les ABMM afin d’assurer la protection des travailleurs migrants.

Remarque : pour en savoir plus sur l’Élaboration de la politique en matière de migration de main-d'œuvre et de mobilité, voir le Chapitre 2.4 Migration de main-d'œuvre et mobilité

Monde universitaire et institutions de recherche

Dans le cadre de l’élaboration de politiques, il est essentiel de prendre des décisions éclairées pour parvenir à une gestion des migrations qui soit durable et stratégique, comme en témoignent des accords internationaux tels que la Déclaration de New York et le Pacte mondial pour les migrations qui s’en est suivi. L’Objectif 1 du Pacte mondial pour la migration est de « collecter et utiliser des données précises et ventilées qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits. »

Les études et analyses réalisées par les universitaires ainsi que par les scientifiques en recherche appliquée constituent une source précieuse d’informations pour les gouvernements, qui pourront ainsi élaborer des politiques et programmes migratoires fondés sur la connaissance des faits. Il est également possible de faire appel aux chercheurs afin d’obtenir les analyses qui contribueront à étayer les débats et approches au niveau régional ou international. Les partenariats avec le monde universitaire peuvent également revêtir d’autres formes : ateliers politiques, réunions interactives d’experts, consultations de haut niveau et conférences durant lesquelles des experts abordent des sujets précis. Les forums adoptent souvent ce format, comme l’illustre le Dialogue international sur la migration (IDM) de l’OIM ou le Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD).

Example
Partenariats interétatiques en recherche pour étayer les décisions politiques : le cas des observatoires du Consortium pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales

Les observatoires du Consortium pour la Recherche Appliquée sur les Migrations Internationales (CARIM) ont fait partie des initiatives financées par la Commission européenne afin d’approfondir la base de connaissances sur les migrations et ainsi de mieux étayer la politique extérieure de l’Union européenne. Institué en 2004, le Consortium a œuvré, dans le cadre de projets particuliers, à une meilleure compréhension des schémas migratoires vers l’Union européenne, depuis les pays d’origine et de transit à l’est (CARIM-East Observatory, 2011–2013) et au sud (CARIM-South Observatory, 2004–2013) de la région. Composé d’experts provenant des différents pays concernés, ces observatoires ont joué un rôle majeur et ainsi contribué à combler les lacunes de connaissances. Ils ont développé un modèle réussi de collaboration interétatique et de politique de recherche en incitant à la production de données dans des secteurs où ces informations faisaient défaut et à la traduction linguistique, conceptuelle et méthodologique d’analyses qu’il aurait autrement été difficile de consulter et de comparer. Par ailleurs, les observatoires ont encouragé à la coproduction de recherches servant les intérêts des pays d’origine et de transit, mais également ceux de l’Union européenne. Les chercheurs du consortium CARIM ont activement participé aux débats sur la politique de recherche en présentant des notes d’information sur des sujets relatifs à la migration et en prenant part aux groupes de travail sur la migration. Cette expérience collaborative a conduit à une meilleure compréhension des schémas migratoires dans les régions concernées et, par la suite, du positionnement de l’Union européenne dans ces schémas. Cette approche a également contribué à l’élaboration d’une politique plus éclairée pour l’Union européenne, tout en enrichissant la base de connaissances sur les migrations pour les pays partenaires.

Source

Weinar, 2019.

Il convient cependant de remarquer que, compte tenu du fonctionnement différent des secteurs de la politique et de la recherche, ces collaborations peuvent se révéler de réelles gageures. Par exemple, les délais de révision et de publication dans le monde universitaire sont relativement longs, tandis que les décideurs politiques doivent souvent disposer d’une connaissance des faits et de réponses rapides.

Policy Approaches
La collaboration avec les institutions de recherche pour une gestion plus efficace des migrations
  • S’appuyer sur les recherches existantes et/ou commander des études sur les sujets de la migration lors de la formulation, mise en œuvre et évaluation des politiques aux niveaux régional et national.
  • Inviter les institutions de recherche à présenter leurs conclusions lors de forums adéquats et à formuler des conseils sur les réponses politiques à adopter.
  • Faciliter et encourager les recherches interétatiques/comparatives en collaboration avec les institutions de recherche et le monde universitaire, notamment en appuyant des modèles de partenariats qui reconnaissent la diversité des aspects et les intègrent dans leur approche (par exemple, paramètres linguistiques, culturels, institutionnels).
  • Mobiliser l’expérience et l’expertise du monde universitaire et des institutions de recherche pour développer une capacité de recherche interne.

Pour en savoir plus, voir le Étape 2 : Données, études et analyses dans le cadre de l'élaboration d’une politique

Secteur privé

À l’instar des syndicats, de nombreuses entreprises du secteur privé possèdent également des liens internationaux et la migration constitue une question qui les intéresse directement. Les entreprises souhaitent, en effet, s’assurer que les travailleurs migrants qu’elles recrutent disposent des compétences et de l’expertise requises. Elles sont également confrontées au besoin de remplacer leur main-d'œuvre dans les pays confrontés au vieillissement de la population et désirent avoir un accès rapide à un vivier plus diversifié de talents pour répondre à leurs besoins, ce qui peut se révéler difficile lorsque la mobilité des travailleurs est soumise à des restrictions (Dos Reis, Koser et Levin, 2017).

Une stratégie d’engagement du secteur privé, non seulement au niveau national mais également à l’échelle internationale, peut présenter des avantages (pour en savoir plus sur le rôle du Secteur privé au niveau national, voir Chapitre 1.4.5 Étape 4 : consultation). Par l'échange d’informations sur le marché du travail entre les entités de différents pays, les États pourraient chacun disposer d’une vision plus complète des dynamiques de l'emploi. Ces données pourraient les aider à développer des systèmes d’information sur le marché du travail (LMIS) qui sont non seulement compatibles entre les différents pays, mais qui contiennent également des informations sur plusieurs pays situés dans une région donnée. Le secteur privé peut également jouer un rôle clé dans la création d’emplois et de stages qui permettent d’intégrer des migrants dans la population active (Koser, 2013) et encourager les partenariats mondiaux sur les compétences (pour en savoir plus sur ces Partenariats, voir en début de ce chapitre).

La mise à contribution des entités du secteur privé au niveau international peut être amorcée par leur participation au débat politique, par le partage de connaissances, la coopération technique, le renforcement des capacités, des subventions et des dons ainsi que des financements (Dos Reis, Koser et Levin, 2017). À ce niveau, l’intervention de conseils de dirigeants d’entreprise tels que l’Organisation Internationale des Employeurs (OIE) ou de conseils nationaux de dirigeants d’entreprise tels que la Fédération des chambres de commerce et d'industrie indiennes (FICCI) peuvent faciliter le développement de partenariats avec des entités autres que celles participant habituellement au Forum économique mondial, à l’OIM ou au Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD). Par exemple, les entreprises pour lesquelles la migration présente un intérêt commercial direct, comme celles actives dans le transfert de fonds qui sont souvent des entreprises publiques de grande envergure, peuvent être intégrées dans ces types de partenariats.

Policy Approaches
La collaboration avec le secteur privé pour une gestion plus efficace des migrations
  • Privilégier les consultations qui répondent aux problématiques présentant un intérêt direct pour le secteur privé, telles que :
  • - Besoins/pénuries de compétences auxquels la migration peut répondre ;

    - Génération d’informations précises sur les migrations ;

    - Gestion des facteurs déclencheurs et causes profondes des migrations ;

    - Solutions innovantes de financement et financement du risque ;

    - Innovation systémique (réduction des frais de gestion, amélioration de la transparence, harmonisation des rapports, etc.) ;

    - Création des conditions pour une croissance économique et un monde du travail équilibrés, durables et inclusifs ;

    - Renforcement de la capacité des établissements éducatifs ;

    - Amélioration des opportunités d’emploi ;

    - Réduction des coûts de la migration de main-d'œuvre ;

    - Promotion de transferts plus rapides, plus économiques et plus sûrs des rapatriements de fonds des migrants.

  • Faire participer les entreprises du secteur privé à l'élaboration et à la mise en œuvre d’un système d’information sur le marché du travail (LMIS) au niveau régional.
  • Envisager d’intégrer un plus large éventail d’acteurs du secteur privé en plus des entreprises habituellement consultées, y compris des entités pour lesquelles la migration ne présente pas un intérêt commercial direct mais qui pourraient y trouver un avantage (par exemple, par la diversification de leur main-d'œuvre).
Source

Dos Reis, Koser et Levin, 2017.

Example
D'une consultation du secteur privé – Le Forum mondial sur la migration et le développement et le secteur privé

Le Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD) facilite le dialogue entre les gouvernements dans le cadre de consultations avec d’autres parties prenantes compétentes dans les domaines de la migration et du développement. Le secteur privé est depuis longtemps reconnu comme acteur de première importance dans ce secteur. En 2015, lors de la conférence du Sommet d’Istanbul, la création d’un Mécanisme des entreprises du FMMD a été approuvée avec les objectifs suivants, comme le prévoit le FMMD :

  • Mobiliser les fédérations d’entreprises du monde entier pour qu’elles s’engagent sur les questions de migration ;
  • Sensibiliser les fédérations d’entreprises à la mission du FMMD ;
  • Réaliser des enquêtes et études sur les meilleures pratiques pour répondre aux enjeux des entreprises et de la migration ;
  • Organiser en milieu d’année une conférence thématique réunissant les entreprises dans le cadre du FMMD ;
  • Fournir un espace permettant au secteur privé de participer et de contribuer activement aux conférences du Sommet du FMMD ainsi qu'à l'espace commun et aux journées dédiées à la société civile du FMMD ;
  • Encourager les entreprises à promouvoir des politiques migratoires judicieuses qui prennent en compte les perspectives économiques.

Le Mécanisme permet aux entreprises d’apporter leur point de vue sur la politique migratoire dans le cadre du FMMD et du PMM. Cette vision est coordonnée par le Groupe consultatif des entreprises, qui est accueilli par l’Organisation Internationale des Employeurs (OIE). Ce groupe a dirigé des travaux importants sur divers sujets, notamment le besoin de mobilité internationale des compétences, le recrutement équitable et le travail décent, l’adéquation des compétences et la reconnaissance des certifications, le rôle de l’entrepreneuriat et la migration circulaire pour le développement.

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Messages clés
  • La migration est souvent décrite comme une question transversale en raison de son incidence sur un large éventail d’organisations et d’institutions à tous les niveaux et de l’intérêt qu’elle représente pour ces différents acteurs. Les États et les organisations intergouvernementales (OIG) ne sont pas les seuls concernés par la migration. Divers acteurs non étatiques le sont aussi. Parmi ceux-ci figurent la société civile, notamment les organisations non gouvernementales, les syndicats et le monde universitaire ainsi que le secteur privé.
  • Pour être les plus efficaces, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, de la législation ainsi que des programmes, projets et cadres administratifs impliquant la gouvernance et la gestion des migrations doivent faire appel à ces divers acteurs : gouvernementaux et non-gouvernementaux, aux niveaux international, régional, national et sous-régional.