L’étape de la formulation est un processus d'analyse consistant à :

  • déterminer si une initiative politique se justifie ;
  • proposer différentes options ;
  • arrêter un plan d'action visant à répondre au problème politique ou à saisir une opportunité en question.

Il s'agit probablement de l'étape la plus déterminante du cycle politique. Elle se subdivise en plusieurs phases qui anticipent les étapes ultérieures ; en d'autres termes, une bonne formulation de la politique préfigure la manière dont la politique sera adoptée et mise en œuvre, puis suivie et évaluée.

L’étape de la formulation se subdivise en quatre phases distinctes (Thomas, 2001) : l'estimation, le dialogue, l'évaluation et la consolidation. Il s'agit rarement d'un processus strictement linéaire. Il est également probable qu'il y ait plusieurs cycles par phase, notamment si un changement politique important est en jeu. La figure 2 représente les actions par phase, et le thème suivant illustre la manière dont ces idées pourraient être appliquées.

Image / Video
Figure 1. Principales considérations dans les phases de formulation d’une politique

Au cours de la phase d'estimation, les bonnes pratiques internationales peuvent être une source d’inspiration.

Example
Le recrutement de travailleurs immigrés dans les pays de l'OCDE

Une enquête au niveau supranational permet de comparer les contextes et les approches politiques et de réfléchir aux bonnes pratiques à l’échelle mondiale. Cette série d'études porte sur les politiques de migration de main-d'œuvre dans les pays de l'OCDE. Et examine leur efficacité et leur bien-fondé. Chaque étude porte sur un pays précis. Et analyse les mouvements de migration de main-d'œuvre sur lesquels la politique influe directement, en se concentrant sur deux éléments clés : les caractéristiques du système de migration de main-d'œuvre du pays, la réponse de la politique aux besoins du marché du travail national, ainsi que son incidence sur celui-ci. 

Lors de la formulation d’une politique, il est nécessaire de procéder à  une analyse sexospécifique afin de veiller à ce que les politiques énoncées tiennent compte de la dimension de genre. Pour en savoir plus sur les lois et politiques fondées sur les sexospécificités, les données probantes et les droits (y compris une liste de points à vérifier pour la formulation des politiques sexospécifiques), voir Genre et migration.

En outre, la phase de formulation requiert une analyse des implications juridiques des solutions politiques axée autour de questions clés telles que :

  • Est-ce réalisable dans l’actuel cadre juridique national ?
  • Comment les cadres bilatéraux, régionaux et internationaux nous éclairent-ils et/ou nous limitent-ils ?
  • Quels sont les changements à apporter ?
  • Comment répartir les rôles et les responsabilités et garantir le respect des réglementations ?
  • Comment la protection des droits sera-t-elle intégrée et quels sont les recours possibles ?

Les États sont les premiers débiteurs d’obligations et doivent veiller à ce que les droits des migrants soient respectés, protégés et appliqués. Le manque de temps, de ressources financières et humaines notamment peut rendre difficile l'intégration complète des principes des droits dans la formulation des politiques. Cependant, les politiques migratoires peuvent être renforcées si les droits des migrants et la responsabilité de l'État sont pris en compte à l’étape de la formulation (pour plus de détails sur les droits des migrants et l’invisibilité et l’interdépendance des droits, voir Droits humains des migrants : une vue d’ensemble).

Exemples de formulation d’une politique : Politique nationale de retour et de réintégration

Le Retour et réintégration des migrants explore en profondeur les questions clés relatives à la stratégie de retour et de réintégration, y compris les évolutions, les bonnes pratiques et les principes internationaux. L'exemple ci-dessous a pour but de présenter brièvement ce domaine politique via les différentes phases de la formulation.

Example
Phase de formulation d'une politique nationale de retour et de réintégration
  1. Quelle question a été identifiée à l’Étape 1 du cycle politique (identification et définition de la question) ?

Le retour et la réintégration des migrants qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas rester dans les pays de destination ou de transit tendent a augmenter au niveau mondial. De nombreux migrants restent bloqués ou se retrouvent en situation irrégulière pendant de longues périodes. Dans cette étude de cas, les acteurs étatiques ont identifié le besoin d'une réponse politique nationale à même d’aider leurs ressortissants à rentrer et à bénéficier d'une réintégration pérenne dans leurs communautés. Les médias nationaux s’interrogent et critiquent l'État sur son manque de réactivité à l'égard de ses citoyens confrontés à de graves difficultés à l'étranger, certains étant exposés ou susceptibles d'être exposés à l'exploitation et à la maltraitance. Sur le plan diplomatique, certains États accueillant les migrants ont exprimé leur frustration et souhaitent voir une amélioration de l'aide consulaire pour permettre aux migrants de rentrer plus rapidement au pays Parallèlement, les migrants de retour ont critiqué le manque d'opportunités sociales et économiques lors de leur réintégration dans leur communauté. Certains décident de repartir, dans des conditions difficiles, ce qui les rend vulnérables à la traite des personnes et à l'exploitation.

  1. Quelles sont les étapes de la formulation d’une politique ?
  1. Appréciation

Quelle est la situation actuelle en termes de politiques existantes ?

Établir un état des lieux des politiques et des initiatives en place et identifier les lacunes permet de savoir si une politique corrective et la mise en place d’un programme peuvent suffire, comme le renforcement des politiques existantes ou de leur mise en œuvre, ou si une réforme politique majeure s’impose. Il est possible, par exemple, que les services consulaires soient inexistants, limités ou difficiles d'accès dans les pays concernés et qu’il soit compliqué et couteux d’obtenir des documents. Les ressortissants à l'étranger peuvent aussi hésiter à revenir car leur famille et leurs communautés dépendent des rapatriements de fonds (provenant d'un travail légal ou illégal dans le pays d'accueil). Des programmes d'information destinés aux ressortissants qui émigrent (temporairement ou définitivement) peuvent exister, mais ils n’expliquent pas suffisamment les risques ou n'atteignent pas le public visé. Des programmes de développement sont parfois en place, mais se révèlent insuffisants ou ne ciblent pas les communautés de retour.

Quelle est l'ampleur et la portée du problème et qui est concerné ?

Pour ce qui est de la situation des migrants à l'étranger, il convient d’analyser les données, les tendances et les études de cas provenant de sources telles que :

  • les services consulaires en mission diplomatique dans les États en question ;
  • les médias ;
  • d'autres parties prenantes, y compris les gouvernements des pays d'accueil, les groupes de migrants/diasporas notamment ;
  • les organisations internationales et les ONG susceptibles d'aider les ressortissants.

Analysez comment les groupes de migrants (par exemple, selon le sexe ou le genre, l'âge, la race ou l'ethnie, l'orientation sexuelle, le handicap, la nationalité ou d'autres caractéristiques pertinentes) vivent différemment ou pas la situation.

Concernant les communautés de retour : analysez les données existantes sur la répartition des migrants de retour et impliquez les autorités locales et les parties prenantes au niveau de la communauté à travers des processus participatifs pour connaître le contexte et obtenir des informations sur l’« écosystème » des migrants de retour. Analysez les problèmes de développement avec les parties prenantes concernées, y compris l'emploi et le marché du travail dans les zones de retour, la formation, l'éducation et d'autres services tels que la santé et le logement. L'aspect psychosocial de la réintégration, notamment l’accueil des migrants de retour par les communautés, est également important et peut nécessiter des réponses supplémentaires.

Qui sont les acteurs politiques ?

Recensez les acteurs politiques nationaux concernés au sein du gouvernement, dont : le ministère des Affaires étrangères/des Affaires consulaires ; de l’Immigration/de l’Intérieur ; du Travail ; et les acteurs du développement. Les autorités locales,telles que les gouverneurs et les maires, peuvent également jouer un rôle déterminant. Les défenseurs des politiques, y compris les universitaires, les ONG, les membres influents d’une communauté et les représentants des migrants de retour, en particulier les représentants des catégories spécifiques de migrants de retour les moins visibles (comme les femmes ou les jeunes) devraient être impliqués.

Recensez les acteurs internationaux concernés, y compris les acteurs gouvernementaux des pays d'accueil cherchant à renvoyer les migrants, et les organisations internationales, y compris les organisations régionales pouvant apporter une aide politique et autre.

Comment les autres États réagissent-ils ?

  • Analysez les directives et la littérature existantes sur le retour et la réintégration ;
  • Contactez les communautés de pratique régionales et internationales, y compris les mécanismes consultatifs régionaux ; recensez les initiatives de pays similaires ;
  • Identifiez les experts des organisations internationales qui pourraient être en mesure d'aider à l'élaboration des politiques.
  • Analysez comment les obligations et les normes juridiques internationales concernant la responsabilité d'un État envers ses ressortissants à l'étranger, y compris la Convention de Vienne sur les relations consulaires, sont traitées, et comment les obligations relatives aux de droits humains sont prises en compte (pour en savoir plus sur le droit diplomatique et consulaire, voir le chapitre 1.2.4 Droit international de la migration et obligations relatives aux droits humains au Chapitre 1.3.1 Les droits humains des migrants : une vue d'ensemble).

Quels sont les instruments politiques disponibles ?

Les instruments politiques comprennent la législation et d'autres instruments juridiques (tels que les règlements), les programmes, les frais ou les taxes, les règles, les outils de communication et le matériel didactique. Déterminez si le cadre juridique national doit être renforcé ou s'il contribue aux difficultés (par exemple, existe-t-il des mesures punitives pour les migrants de retour ou des obstacles à la portabilité des prestations sociales ou à la reconnaissance des périodes d’études à l'étranger pour les enfants ?)

Un ou plusieurs accords internationaux entre le pays d'origine et le ou les pays d'accueil concernant les modalités de retour peuvent s'avérer nécessaires. Des accords d’ores et déjà en vigueur avec d'autres pays sur des questions similaires pourraient guider l'approche.

Une série de nouveaux programmes d'aide et de programmes améliorés peuvent être indispensables à une réintégration efficace et pérenne (voir Chapitre 2.12 retour et réintégration des migrants). De même que des outils de communication ciblant les migrants de retour, les communautés des migrants de retour, les migrants potentiels et leurs communautés et expliquant leurs avantages ; ces outils doivent être pertinents et s’adresser à différentes bénéficiaires (par exemple, selon le sexe ou le genre, l'âge, la race ou l'appartenance ethnique).

  1. Dialogue

Pour les acteurs politiques, quelles sont les opportunités de se réunir dans le cadre de la résolution d’un problème ? Quelle structure est nécessaire pour que les différents acteurs éclairent au mieux la réflexion politique ?

Faciliter le dialogue afin d’optimiser les perspectives et les connaissances des parties prenantes. Des mécanismes et des formats de consultation distincts peuvent aussi être requis pour explorer les différentes dimensions du problème ; et il peut être utile de mettre l'accent sur les processus de retour et les mesures de réintégration.

Envisager la création d’un groupe de travail intergouvernemental sur les politiques afin de définir la portée des questions posées et de faire un état des lieux des politiques existantes. Ce processus intergouvernemental pourrait ensuite être complété par des exercices/mécanismes de consultation impliquant différents niveaux de gouvernement, des parties prenantes nationales non gouvernementales, ainsi que des organisations internationales et des experts.

Réfléchissez à la manière de faire participer des parties prenantes ayant une expérience personnelle de la situation. Veillez également à impliquer un éventail diversifié et représentatif de parties prenantes (selon le sexe ou le genre, l'âge, la race ou l'appartenance ethnique, etc.) de manière à ce que les expériences soient les plus différentes possibles. Si les initiatives politiques sont susceptibles de devoir être mises en œuvre par plusieurs acteurs, tels que les autorités locales ou les ONG travaillant dans les communautés de retour, il est préférable de les associer au processus dès le début pour que toute nouvelle politique bénéficie d’un maximum d’apports sur la manière de la mettre en œuvre.

Puisqu’une coopération interétatique est nécessaire, les fonctionnaires du ministère des affaires étrangères peuvent engager le dialogue avec leurs interlocuteurs diplomatiques sur des questions telles que l'accès consulaire aux ressortissants ; la facilitation des voyages ; la répartition des frais de voyage ; les documents requis pour la sortie ; et d'autres obstacles tels que les pénalités pour dépassement de séjour et la détention.

  1. Évaluation

Déterminer, parmi les options, ce qui est faisable et raisonnable à court et à long terme ?

Le retour et la réintégration constituent un enjeu politique complexe qui appelle une réponse multidimensionnelle. La phase d'évaluation peut servir à isoler les différents éléments du problème. Et de savoir, à partir d’une estimation et d'un dialogue, quelles initiatives peuvent être intégrées de manière réaliste dans le champ d'application de la politique et dans quels délais.

En examinant attentivement les données probantes et les options politiques, il est important de gérer les ambitions des différents acteurs impliqués et de répondre avec réalisme aux difficultés. La phase d'évaluation pourrait inclure la faisabilité de mesures immédiates et à court terme et de réponses à moyen et long terme. L'évaluation de la faisabilité porte notamment sur la légalité (y compris les obligations juridiques internationales et régionales), l’accessibilité économique, les capacités et la possibilité d'apporter des solutions en temps opportun.

L’interdépendance entre les composantes des programmes et des initiatives doit être énoncée clairement de manière à éviter d’opter pour des mesures simples ou peu coûteuses sans considérer des éléments plus complexes qui ne fonctionnent que lorsqu’ils sont réunis.

Dans cet exemple, l'accent peut être mis d’emblée sur le retour des migrants, afin de faire face aux risques encourus par les ressortissants à l'étranger et de réduire la pression politique. Parmi les éléments à prendre en considération figurent :

  • la possibilité de conclure rapidement des accords et des arrangements internationaux nécessaires entre les États concernés ;
  • déterminer si la législation nationale entrave le retour, en raison notamment du manque d’options disponibles pour prouver sa nationalité et/ou de la lourdeur des procédures de détermination de la nationalité ou des difficultés d'accès à la nationalité pour les enfants nés à l'étranger ;
  • l’éventuel déploiement d’un programme consulaire à grande échelle pour aider les ressortissants qui souhaitent rentrer dans leur pays ;
  • la disponibilité des ressources et des capacités institutionnelles nécessaires à cet effet et, et si ce n’est pas le cas, comment y remédier ;
  • l’éventuelle mise en place d’une aide aux migrants dès leur retour en s’inspirant des pratiques et des outils utilisés ailleurs, et d’un suivi pour évaluer son efficacité ;
  • la mise en œuvre dès que possible d’un programme visant à informer les migrants sortants des risques qu'ils peuvent encourir à l'étranger et des services à leur disposition.

Tenez compte des résultats de l'analyse sexospécifique et de l'évaluation de l'impact de ces considérations sur les droits (pour en savoir plus sur la manière d’intégrer les principes des droits dans l’élaboration d’une politique et l’indivisibilité et l’interdépendance des droits, voir Chapitre 1.3.1 Les droits humains des migrants : Une vue d’ensemble).

Il convient également d'évaluer les réponses politiques en fonction des enjeux à long terme. Dans cet exemple, la réintégration pérenne est intrinsèquement liée au développement durable du pays de retour. L'étape d'évaluation de la politique devrait rendre compte de cette contrainte intrinsèque : les initiatives politiques de réintégration ne peuvent pas, à elles seules, imposer une réforme socio-économique majeure.

En termes de réponses politiques directes, des programmes ciblés liés à des cas ou à des lieux sont envisageables, selon les capacités financières et administratives. En réfléchissant à des enjeux de développement plus larges, une réponse politique pourrait consister à établir des mécanismes de coordination avec les acteurs du développement afin de déterminer comment la migration et la migration de retour affectent les communautés.

Lors de l'évaluation des options politiques, il est important de formuler des attentes réalistes quant aux initiatives et de réfléchir aux raisons qui donnent à penser qu’elles auront les effets souhaités. Dans le prolongement de cette démarche, il conviendrait de connaître les données à saisir dans le cadre du suivi du programme pour comprendre les résultats. Ce qui permettrait d'établir une base solide pour l'évaluation de l'efficacité de la politique. Se montrer trop ambitieux ou faire trop de promesses, en particulier pour ménager les parties prenantes, nuirait à la crédibilité de la politique et entraînerait probablement des lacunes, qui apparaîtraient dès la mise en œuvre. Dans cet exemple, si les initiatives politiques étaient plus modestes et ciblaient uniquement des bénéficiaires précis, tels que les migrants de retour, il serait irréaliste de s'attendre à ce que les communautés de retour soient économiquement florissantes. L'effet escompté serait plutôt que les migrants de retour soient individuellement aidés à rentrer et qu'ils bénéficient d'un accès au marché du travail grâce à des formations, des conseils, des opportunités d'emploi et d'autres services clés tels que la santé et le logement, ou qu'ils soient conseillées sur une migration interne ou internationale sûre.

  1. Consolidation

Le processus de consolidation vise à parvenir à un consensus sur les solutions politiques issues de la phase d'évaluation. À ce stade, les sources probables de friction concernant les solutions politiques privilégiées devraient avoir été identifiées, de même que les consultations ultérieures à organiser en priorité avec certaines parties prenantes. Si la politique émergente semble irréalisable ou inacceptable, d'autres cycles de dialogue et d'évaluation peuvent s'avérer nécessaires. Surmonter les inquiétudes des acteurs potentiels de la mise en œuvre conjointe est une priorité ; il peut s’agir, par exemple, du ministère des affaires étrangères qui a besoin d'améliorer et de prioriser l'aide consulaire, ou des instances locales des zones de retour qui ont besoin d’accompagner les migrants de retour. Un manque d'engagement vis-à-vis de la politique participera certainement de l’échec de la phase de mise en œuvre et, à terme, de la réussite de la politique

Messages clés
  • L'élaboration des politiques est complexe, multi-niveaux, décentralisée et souvent très politisée.
  • Une bonne formulation politique préfigure la manière dont la politique sera adoptée et mise en œuvre, puis suivie  et évaluée.
  • La formulation de la politique évalue et synthétise les données probantes, implique les parties prenantes de manière ciblée, examine les options et consolide une position sur l'approche privilégiée.